La découverte de médicaments est longue et coûteuse, avec des taux d’échec élevés, laissant souvent les patients avec des options de traitement limitées et coûteuses. L'intelligence artificielle (IA) est-elle la clé d’une nouvelle ère d'identification de cibles et de conception de médicaments ? C’est la perspective développée par des pharmacologues qui exploitent les dernières techniques d’IA pour développer de nouveaux candidats, dont certains déjà en cours d’essais de phase I et II, pour traiter des maladies complexes comme le cancer, la maladie d'Alzheimer, le diabète ou encore la fibrose pulmonaire idiopathique. Alors que la modélisation de la pathogenèse et du développement de maladies, dont l'identification de nouvelles cibles, sont des étapes chronophages et coûteuses du processus actuels d’innovation thérapeutique, les experts mettent ici en exergue les avantages de l'IA dans l'accélération du développement de thérapies sûres et plus durables. Avec quelques écueils à éviter cependant.
Les scientifiques se sont longtemps appuyés sur des méthodes plus expérimentales telles que la spectrométrie de masse pour analyser l’expression des protéines, différencier ainsi avec précision les protéomes cellulaires et identifier les voies pathologiques de nombreux cancers.
Plus récemment, l'édition de gènes CRISPR-Cas9 a permis, et parfois en « éteignant » l’expression des gènes un à un, de mieux comprendre les mécanismes de certaines maladies.
Les études d'association pangénomique ou à l'échelle du génome (GWAS) ont permis également des percées thérapeutiques.
De plus, avec les progrès de ces différentes technologies mais aussi les essais cliniques, le volume de données biomédicales a considérablement augmenté, entraînant une complexité d’analyse supplémentaire pour les scientifiques. En revanche, ces quantités considérables d’informations à disposition, constituent les conditions idéales d’exploitation par l'IA qui peut rapidement traiter et analyser des réseaux complexes de données.
Si les outils basés sur l’IA contribuent déjà à l'identification de biomarqueurs (diagnostic), la prédiction des interactions molécule-cible (pharmacocinétique) et à la conception d'essais cliniques, ils pourraient également favoriser :
des thérapies plus efficaces : si l'IA a accéléré et amélioré le processus de découverte de médicaments, notamment en générant des données synthétiques là où les données thérapeutiques sont rares ou à risque élevé de biais, sa première valeur ajoutée est dans la découverte de cibles plus efficaces. D’autant qu’une toute petite proportion des cibles thérapeutiques à potentiel ont été identifiées chez l’Homme.
Des thérapies pour des maladies complexes : un autre domaine dans lequel l'IA devrait apporter une contribution significative est la lutte contre les maladies complexes. Des maladies telles que le cancer, les troubles neurodégénératifs et les maladies auto-immunes impliquent souvent des mécanismes moléculaires complexes difficiles à démêler. Les méthodes de découverte de cibles basées sur l'IA peuvent aider à découvrir de nouvelles cibles et voies biologiques sous-jacentes à ces maladies, ce qui ouvre la voie au développement de nouveaux traitements.
Des thérapies contre les épidémies de maladies infectieuses : les pandémies constituent une menace constante pour la santé mondiale. L'identification rapide de cibles médicamenteuses et le développement de thérapies antivirales sont essentiels pour lutter contre les pathogènes émergents. En permettant l’analyse plus rapide des données génomiques, les algorithmes d'IA peuvent identifier les protéines virales essentielles ou les facteurs critiques chez l’hôte qui doivent être ciblés pour inhiber la réplication virale. Ils vont donc favoriser le développement d’antiviraux pour tous.
Des thérapies mieux ciblées : l’IA permet, par sa capacité d’analyse croisée, la découverte de combinaisons de cibles et de mécanismes thérapeutiques. Les maladies complexes impliquent souvent des voies moléculaires multiples et l’interaction entre différents facteurs biologiques. Les algorithmes peuvent analyser et combiner plusieurs ensembles de données, que ce soit de données génomiques, données de dossiers patients ou de données épidémiologiques, pour finalement identifier pour chaque patient ou chaque groupe de patient, une thérapeutique mieux appropriée. Si cela représente un atout appréciable notamment dans les maladies où les monothérapies montrent une efficacité limitée, il reste à démontrer que les algorithmes d'IA puissent cerner le mécanisme d'action complet sur des cibles sélectionnées, prendre en compte l'hétérogénéité et la variabilité des maladies, les variations individuelles, et tirer parti de cette compréhension pour optimiser et personnaliser ces thérapies combinées…
Des thérapies repositionnées : l'IA permet aussi le criblage de cibles à haut débit, ce qui peut révéler de nouvelles cibles ou de nouveaux potentiels thérapeutiques de molécules existantes, et plus largement réduire le temps et les coûts nécessaires au développement de médicaments.
Des limites possibles cependant à l’utilisation de l’IA dans une vision plus écologique
de l’innovation thérapeutique, font débat :
- La consommation de ressources élevée de l’IA certainement, qui reste une source non négligeable d’émissions de carbone à tous les stades de son exécution, de la programmation, du développement à son utilisation ;
- mais aussi des considérations éthiques, la confidentialité des données et ses cadres réglementaires. Ces aspects devraient être pris en compte pour assurer son déploiement responsable et éthique dans le développement de médicaments ;
- son interprétabilité qui exige toujours l’intervention de scientifiques mais aussi la validation par des essais cliniques humains : en aucun cas l’IA ne permettra donc de s’affranchir de l'approbation humaine, éthique et réglementaire, du recrutement de patients, d’analyses longitudinales et/ou rétrospectives prenant en compte la durée des traitements ;
- sa « fiabilité » concernant les effets secondaires : les algorithmes d'IA peuvent-ils prédire avec précision les effets indésirables, les effets hors cible et les interactions médicamenteuses ?
En résumé, l'IA est un outil puissant dans le développement de médicaments et révolutionne déjà la façon dont sont identifiées de nouvelles cibles et repositionnés les médicaments existants. Avec les progrès continus de l'IA et les efforts des chercheurs, et sous réserve que ses données synthétiques puissent être validées chez l’Homme et dans la vraie vie, l'IA jouera certainement un rôle clé dans l'accélération du développement de thérapies sûres et efficaces pour un large éventail de maladies, améliorant durablement le bien-être et la santé humaine.
Quelques sources:
- Frontiers in Pharmacology 2020 DOI: 10.3389/fphar.2020.00770 Accelerating Therapeutics for Opportunities in Medicine: A Paradigm Shift in Drug Discovery
- Biopharma Dealmakers 2021 DOI: 10.1038/d43747-021-00045-7 Tapping into the drug discovery potential of AI
- International Journal of Molecular Sciences 2021 DOI: 10.3390/ijms22073327 Novel CRISPR–Cas Systems: An Updated Review of the Current Achievements, Applications, and Future Research Perspectives
- Science Translational Medicine 2017 DOI : 10.1126/scitranslmed.aag1166 The druggable genome and support for target identification and validation in drug development
- Trends in Pharmaceutical Science 2023 DOI: 10.1016/j.tips.2023.06.010 AI-powered therapeutic target discovery
- Nature Reviews Drug Discovery 2018 DOI: 10.1038/nrd.2018.168 Drug repurposing: progress, challenges and recommendations
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