À l'échelle mondiale, le secteur de la santé est à l'origine d'une part non négligeable de l’empreinte environnementale, estimée à 4,4 % des émissions de gaz à effet de serre. En pleine crise climatique, les soins de santé durables font donc partie des axes indiscutables d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Si pour des raisons d’écoresponsabilité, le principe d’une santé mondiale plus durable fait son chemin, ses motivations éthiques restent moins étudiées. Plusieurs équipes de recherche en santé mondiale soulignent néanmoins pourquoi la réduction des dommages liés au changement climatique pour les personnes plus vulnérables, fait aussi partie intégrante de la mission des organisations de santé ; pourquoi il est nécessaire de mieux prendre en compte les concepts de justice et de solidarité climatiques dans l’effort de réduction de l'empreinte carbone des soins de santé. Si ces arguments peuvent sembler à première vue un peu éloignés de la pratique clinique, ils ne peuvent échapper à notre réflexion.
Les concepts de justice et de solidarité climatiques fournissent une première base éthique pour la prestation de soins de santé durables. En matière de santé, l'équité et la solidarité ont toujours été deux valeurs sous-jacentes fondamentales. Leur importance a récemment été mise en valeur par la pandémie COVID-19. Et comme la pandémie a souligné l’urgence de se concentrer sur l'équité et sur la solidarité internationale, le réchauffement climatique impose aujourd’hui la prise en compte de ces deux principes dans la lutte contre ses effets.
Des fondements éthiques à la santé mondiale durable
La justice climatique est définie par l’objectif de réduire les disparités des effets du changement climatique écologiques, économiques et sanitaires. Dans le « Sud », les dommages liés au changement climatique creusent déjà les disparités en matière de santé et de bien-être. La justice climatique consiste donc à s'assurer que la vulnérabilité des personnes aux risques et aux dommages liés au changement climatique est réduite, en particulier pour les populations des pays du Sud. Lutter contre cette vulnérabilité croissante doit se faire à la fois en limitant l'exposition et en comblant le manque de ressources pour protéger la santé et le bien-être contre ce risque.
La justice climatique exige ainsi à la fois « de l'atténuation et de l'adaptation ».
La santé mondiale a des devoirs spécifiques en matière de justice climatique ou d’équité, qui doivent être respectés pour qu'elle puisse accomplir sa mission. Ce droit fondamental a d’ailleurs été consacré en 1948, par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme l’engagement vers le « meilleur état de santé susceptible d'être atteint » en tant que droit fondamental de tout être humain. Contribuer à réduire les disparités en matière de santé entre les pays et au sein des pays, en mettant l'accent en priorité sur l'amélioration de la santé des personnes les plus vulnérables fait donc partie des principes fondateurs de la santé mondiale. Or, aujourd’hui, le changement climatique pose question, alors qu’il creuse les disparités en matière de santé et repousse encore un peu plus les populations plus vulnérables en deçà d'un niveau de santé tolérable. Ses effets augmentent encore la dénutrition et la malnutrition, les troubles respiratoires, la transmission des maladies vectorielles, et plus largement les événements et les décès associés aux fortes températures.
La santé mondiale a des devoirs en matière de solidarité, un principe qui peut s’entendre à la fois comme une « attitude » des professionnels, et comme un principe de pratique clinique. En tant que pratique, la solidarité peut être interprétée de plusieurs manières, toutes pertinentes en matière de santé : certains chercheurs définissent la solidarité comme une action pour le bien commun. Cela implique en santé, de prévenir et d’atténuer les menaces publiques, comme les maladies mais aussi le changement climatique. Cela implique de prendre des mesures pour soulager la souffrance et aider les plus vulnérables face à ces changements. Ainsi, une santé mondiale solidaire devrait pouvoir répondre aux besoins sanitaires de populations plus éloignées et chercher à atténuer les menaces mondiales communes à la santé de tous, telles que le changement climatique et les pandémies.
Les principes de justice et de solidarité obligent donc la santé mondiale à prendre en compte les impacts climatiques puisque ce sont les populations les plus plus vulnérables, qui sont les plus fortement touchées par le réchauffement climatique et qui encourent les plus grands risques sanitaires. La santé mondiale a donc le devoir de travailler à réduire leur vulnérabilité au changement climatique.
Cet effort ne peut que passer par une réduction de son empreinte environnementale, notamment par la fourniture de soins de santé durables, le développement d’une infrastructure durable, c'est-à-dire à faibles émissions, et par la mise en œuvre des protocoles de soins qui répondent aux nouvelles charges climatiques de morbidité locales.
Mais aussi par un partage et une égalité d'accès à ces nouvelles ressources plus écoresponsables.
Sources :
- Global Public Health 2021 DOI : 10.1080/17441692.2020.1867881 Health equity and health system strengthening – Time for a WHO re-think
- Bioethics 2022 DOI : 10.1111/bioe.13071 Sustainable global health practice: An ethical imperative?
- International Health 2018 DOI: 10.1093/inthealth/ihy010 On the meaning of global health and the role of global health journals
- Theoretical Medicine and Bioethics 2016 DOI : 10.1007/s11017-016-9372-x The place of human rights and the common good in global health policy
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