L’aphasie affecte au moins un tiers des survivants d’AVC. Comment chez ces personnes aphasiques, les émotions affectent la « récupération » des mots, c’est ce que cette équipe de neurologues et psychologues de l’Ohio State University tente de nous expliquer avec cette étude publiée dans la revue Neuropsychologia. Des conclusions qui ont des implications thérapeutiques pour les évaluations cliniques et la thérapie, notamment pour aider les nombreux patients socialement isolés par la maladie.
L’aphasie est caractérisée par une perturbation de l’expression orale et la compréhension du langage ainsi que de la lecture et de l’écriture. La recherche est menée auprès de patients dont les limitations en termes de fluidité et d’expression verbale résultaient de lésions cérébrales causées par un accident vasculaire cérébral (AVC)– la cause la plus courante d’aphasie. Les personnes aphasiques ont plus de difficulté à trouver leurs mots en particulier lorsqu’elles sont exposées à des images et des contextes émotionnels négatifs.
L’un des auteurs principaux, Deena Schwen Blackett, chercheur à l’Ohio State ajoute : « les émotions jouent un rôle important dans l’aphasie et elles ont par ailleurs un impact considérable sur la qualité de vie. Le fait qu’elles puissent interférer, chez les personnes aphasiques, avec la capacité à trouver ses mots, devrait être un facteur pris en compte dans la prise en charge et le soutien de ces patients ».
De précédentes recherches ont montré toute l’impact des stimuli émotionnels sur les performances des personnes aphasiques, notamment en matière de compréhension auditive, de lecture, d’écriture et de répétition, cependant c’est la première étude à démontrer le poids des émotions sur la capacité à « retrouver » ses mots.
L’étude est menée auprès de 13 personnes aphasiques et 13 personnes neurotypiques (témoins), invitées à effectuer 4 tâches de dénomination d’1 mot : 2 tâches basées sur des images pour nommer des objets ou des actions représentées par une image, et 2 tâches basées sur des mots pour nommer des mots qui correspondent à une catégorie ou des verbes qui accompagnent logiquement le mot utilisé comme invite. Les images et les mots utilisés comme stimuli avaient été préalablement validés comme porteurs d’un contexte émotionnel négatif ou positif ou comme neutres. Différentes tâches révèlent que :
- les participants aphasiques répondent aux images et aux mots ayant une signification négative par de moins bonnes performances de dénomination ;
- cette tendance est observée à l’identique chez les personnes souffrant d’aphasie légère à modérée, mais dans une ampleur plus élevée que celle observée chez les personnes neurotypiques ;
- sur un plan plus neurologique ce constat suggère un processus spécifique dans le cerveau des personnes aphasiques pour traiter ces stimuli différemment.
Quelle explication ? Les chercheurs émettent l’hypothèse que l’excitation émotionnelle et le traitement du langage simultanés conduisent à une fragmentation des capacités d’attention du cerveau chez les personnes aphasiques : des régions superposées impliquées dans les deux types de traitement et, en pratique, la réponse émotionnelle interfère avec l’attention nécessaire à la récupération des mots et au langage.
Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre pleinement l’effet des stimuli émotionnels chez les personnes aphasiques, mais il apparaît déjà que les contextes émotionnels négatifs pourraient aggraver leurs difficultés de langage.
Source: Neuropsychologia 10 Jan, 2024 DOI : 10.1016/j.neuropsychologia.2023.108734 The effects of emotional stimuli on Word retrieval in people with aphasia
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