Des cellules tumorales qui adoptent un comportement altruiste et se sacrifient pour aider d’autres cellules tumorales à résister à la chimiothérapie, c’est le processus de résistance tumorale surprenant que vient de découvrir une équipe de biologistes et de cancérologues de l’Université nationale de Singapour (NUS) Yong Loo Lin School of Medicine. Ces travaux, publiés dans la revue Molecular Cancer non seulement apportent une meilleure compréhension de la chimiorésistance, mais aussi un nouvel éclairage sur l’interaction entre les organismes sociaux dans d’autres maladies, telles que celles provoquées par des bactéries ou des virus.
Chez les patientes atteintes d’un cancer du sein à stade précoce, le risque de rechute est estimé entre 7 et 11 % dans les 5 ans qui suivent le traitement. Ce taux de rechute peut être même plus élevé pour les patientes présentant un stade plus avancé du cancer. Bien que la chimiothérapie vise à éliminer toutes les cellules cancéreuses, certaines d’entre elles échappent au traitement et survivent, permettant ces récidives du cancer.
Mieux comprendre et éviter les rechutes du cancer
L’étude ou plutôt ces travaux de recherche menés sur plus de 10 ans permet de mieux cerner les raisons pour lesquelles certaines tumeurs du cancer du sein survivent à la chimiothérapie. L’examen d’échantillons de tumeurs et de sang de 63 patientes atteintes d’un cancer du sein à différents stades, ainsi que l’analyse de cellules de cancer du sein cultivées en laboratoire et l’étude d’animaux modèles de laboratoire, a permis à l’équipe de découvrir que :
- les cellules cancéreuses présentant une expression élevée d’une certaine molécule, un petit ARN non codant connu comme miR-125b, coopèrent avec d’autres cellules cancéreuses environnantes pour permettre à ces dernières de se développer et de résister à la chimiothérapie ;
- les cellules cancéreuses ne sont donc pas toutes « égoïstes et motivées par leur propre survie », mais certaines adoptent un comportement altruiste pour aider d’autres cellules cancéreuses à prospérer en sacrifiant leurs propres capacités à se multiplier.
La découverte de ce processus de coopération cellulaire pourrait être essentielle au développement de traitements plus efficaces contre le cancer du sein, explique l’auteur principal, le Dr Leong Sai Mun du NUS Center for Cancer Research : « Notre recherche identifié ces comportements coopératifs entre les cellules cancéreuses, que le traitement doit cibler spécifiquement, pour qu’elles soient détruites plus efficacement. De nouveaux traitements devraient intégrer des mécanismes qui empêchent les cellules cancéreuses environnantes de bénéficier de ces cellules « qui se sacrifient » ».
Ce processus de signalisation complexe au sein de ces cellules altruistes qui permet cette résistance globale de la tumeur au traitement, passe par une voie de signalisation connue sous le nom de NF-κB, selon laquelle, les cellules cancéreuses altruistes présentant une expression élevée de miR-125b subissent une prolifération réduite. Paradoxalement, ce même processus de signalisation incite ces cellules cancéreuses altruistes à libérer des substances – des protéines connues sous le nom d’IGFBP2 et CCL28 – qui favorisent une plus grande tolérance à la chimiothérapie dans l’ensemble de la tumeur cancéreuse.
Quelles implications en pratique ? Eliminer ces cellules cancéreuses altruistes peut constituer une stratégie thérapeutique, mais à condition d’intégrer « la persistance » de ces cellules altruistes. En effet, les chercheurs constatent également que malgré ce sacrifice de soi, les cellules cancéreuses altruistes peuvent se régénérer à partir des cellules non altruistes et maintenir ainsi, au sein de la tumeur, des niveaux stables, faibles mais constants.
L’étude apporte donc un nouvel éclairage sur la biologie complexe du cancer du sein, offrant une voie prometteuse pour une meilleure compréhension de ses aspects comportementaux, de son pronostic et de nouvelles cibles thérapeutiques. Au-delà du traitement du cancer, le mécanisme fondamental d’une telle solidarité cellulaire a des implications plus larges pour la compréhension d’autres maladies, avec a priori des processus altruistes similaires, entre bactéries ou virus ?
Source: Molecular Cancer 14 Dec, 2023 DOI : 10.1186/s12943-023-01896-7 Dynamic altruistic cooperation within breast tumors
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