La synthèse du LSD et de la psilocybine a suscité, du début au milieu du 20è siècle, un nouvel intérêt pour la science du cerveau, en particulier pour le rôle des neurotransmetteurs. De nombreuses équipes ont repris plus récemment la recherche « psychédélique « en tentant de comprendre et d’identifier les effets et les bénéfices possibles de certains composés dans le traitement de la maladie mentale. Cette étude des dernières avancées et des perspectives apportées par les neuroscientifiques cognitifs apporte, lors du Congrès annuel de la Cognitive Neuroscience Society (CNS) une nouvelle vision des effets mentaux et cognitifs des substances psychédéliques.
« Bien que les composés psychédéliques aient certains des effets subjectifs les plus intéressants de toutes les substances psychoactives, il est démontré qu’ils altèrent la cognition comme la plupart de ces substances », précise l’un des experts auteurs, Manoj Doss de l’Université Johns Hopkins qui avec son équipe a passé en revue les dernières données de la littérature. Le tout dans un paysage scientifique qui évolue néanmoins très rapidement, avec une multitude de nouvelles recherches examinant comment les psychédéliques peuvent aider à comprendre la plasticité de la mémoire ou encore comment la psilocybine peut induire un processus créatif spontané.
D’énormes lacunes, d’énormes effets ?
« D’énormes lacunes dans nos connaissances sur les psychédéliques et la cognition subsistent », écrit Natasha Mason, chercheur à l’Université de Maastricht. L’auteur note l’énorme regain d’intérêt pour ces substances sur le plan thérapeutique, mais aussi l’absence de preuves neurocognitives qui lient les changements aigus et persistants induits par les psychédéliques dans la cognition, à une réponse thérapeutique à long terme. Son intérêt pour la recherche sur les psychédéliques qui a commencé avec le profond désir de mieux traiter les maladies du cerveau- poursuit donc l’espoir d’identifier des traitements alternatifs pour les troubles de santé mentale.
Il est vrai que la littérature médicale est prometteuse, certains études suggérant qu’une ingestion unique d’un composé psychédélique peut permettre une réduction de symptômes mentaux à long terme.
Cependant « sur ce sujet, la science reste jeune »,
les substances restent illégales et seule une poignée d’équipes sont habilitées à mener ces recherches.
Ce nouveau rapport tente de valider plusieurs hypothèses :
Psychédéliques et créativité : plusieurs études ont rapporté une capacité créative accrue après l’utilisation de drogues psychédéliques, et des essais cliniques sur des composés psychédéliques ont suggéré leur intérêt pour traiter toute une gamme de troubles mentaux. Le concept sous-jacent étant que l’expérience psychédélique peut apporter un soulagement thérapeutique en sortant les patients de leurs schémas de pensée habituels, rigides et inadaptés. La question est posée : une dose modérée de psilocybine affecte-t-elle bien et de manière bénéfique, la fonction créative ?
- L’analyse d’un premier essai rigoureux, en double aveugle et contrôlée par placebo, portant sur cette association historique entre l’utilisation de psychédéliques et la créativité confirme cet effet « créatif spontané » et précisément 7 jours après l’exposition à la psilocybine. L’imagerie cérébrale a soutenu ces changements de comportement dans la créativité. C’est donc une première confirmation d’une fenêtre d’opportunité pour une thérapie améliorée : « S’il y a bien ce changement durable dans la cognition créative, nous pouvons peut-être utiliser cette fenêtre de temps pour aider les patients ave des thérapies qui favorisent leur capacité d’adaptation ».
Psychédéliques et stress post-traumatique : les recherches de ces experts sur les psychédéliques découlent aussi de leur intérêt pour la mémoire humaine, et en particulier la reconsolidation des (mauvais) souvenirs pour les rendre moins douloureux et pour aider ainsi les patients souffrant de dépression et de syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Alors que ces souvenirs douloureux et complexes sont parfois conservés pendant plusieurs années, ils ne sont pas facilement « labiles », soulignent les chercheurs, qui voient là aussi une opportunité pour les psychédéliques, qui pourraient, en théorie favoriser une plus grande plasticité dans le cortex. Cependant, avant de tester les bénéfices possibles des psychédéliques dans la reconsolidation, il s’agit de mieux comprendre comment ces substances affectent les différents types de mémoire.
- Une analyse encore en cours de validation, menée sur 10 ensembles de données provenant d’études examinant les effets des psychédéliques sur la mémoire épisodique, conclut que si les psychédéliques tels que la psilocybine et la MDMA (ecstasy) altèrent l’encodage des souvenirs qui reposent sur le rappel de détails spécifiques, ils peuvent en revanche, améliorer ou consolider encore plus l’encodage des souvenirs qui reposent sur la familiarité. Cet effet est différent de ceux engendrés par des hallucinogènes comme la kétamine, qui semblent altérer les deux types d’encodage de la mémoire.
- Ces nouveaux travaux suggèrent enfin que les psychédéliques peuvent permettre au cerveau de contourner ou de minimiser le besoin de l’hippocampe. On pense que l’hippocampe contribue à arbitrer la façon dont le cortex apprend avec des souvenirs plus « permanents » résultant de représentations régulières à travers des souvenirs épisodiques. Or, les représentations inadaptées peuvent être particulièrement difficiles à perturber lorsque de nouvelles informations entrantes sont biaisées par un sentiment négatif de soi et des expériences négatives récentes. Les psychédéliques pourraient donc offrir cette opportunité « d’écraser rapidement les souvenirs inadaptés et peut-être même de favoriser un nouvel encodage moins négatif ».
Mieux comprendre l’impact de ces substances sur la mémoire et la cognition et les combiner au mieux à la psychothérapie et aux médicaments pourrait permettre d’ouvrir de nouvelles options pour les patients. Les experts suggèrent, par exemple, « des séances de thérapie induites par les psychédéliques ».
Source: Cognitive Neuroscience Society 30th Annual Meeting 28 March, 2023 Altered States of Cognition: The Acute and Persisting Consequences of Psychedelic Drugs on Cognition
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