Cette équipe d’immunologues de l’Université Rockefeller (Manhattan) nous sensibilise aux dégâts possibles que peut faire dans notre intestin une simple entérobactérie. Les 100 millions de neurones dispersés le long du tractus gastro-intestinal pourraient être éradiqués par une seule infection intestinale, prédisposant ainsi le sujet à la maladie inflammatoire chronique intestinale (MICI) à long terme. Mais dans la réalité, ce n’est pas le cas de la plupart des infections entériques : à la première infection, une protection se met en place pour préserver les neurones entériques, les empêchant de mourir lors des futures attaques pathogènes. Ces travaux, menés in vivo et publiés dans la revue Cell, soutiennent ainsi le développement d’une sorte de mémoire immunitaire « innée » qui persiste après la disparition de l'infection primaire et se consolide au fil des infections.
L’étude montre, en pratique, chez des souris infectées par des bactéries ou des parasites, que les animaux développent alors une forme unique de tolérance ou de protection, assez différente de la réponse immunitaire acquise : les macrophages intestinaux réagissent en protégeant les neurones entériques, lors des attaques suivantes des agents pathogènes, explique l’auteur principal, le chercheur Daniel Mucida de Rockefeller. « Cette tolérance ne se développe pas pour tuer les futurs agents pathogènes, mais pour faire face aux dommages causés par l'infection, en préservant le nombre de neurones dans l'intestin ».
Si trop de neurones entériques mourraient, le tractus gastro-intestinal deviendrait incontrôlable.
Le système nerveux entérique est connu comme le « deuxième cerveau » du corps, il abrite le plus grand ensemble de neurones et de cellules gliales -en dehors du cerveau lui-même. Le système nerveux du tractus gastro-intestinal existe et fonctionne de manière plus ou moins autonome, sans intervention significative du cerveau. Il contrôle le mouvement des nutriments et des déchets par fiat, coordonnant les échanges de fluides locaux et le flux sanguin avec une autorité que l'on ne voit nulle part ailleurs dans le système nerveux périphérique.
Sauvegarder la motilité intestinale : le microbiote intestinal a besoin du système nerveux entérique et les infections intestinales peuvent tuer les neurones entériques -du moins chez les rongeurs-, avec des conséquences désastreuses pour la motilité intestinale. Si les neurones entériques meurent en masse, cela soulève la possibilité que des infections intestinales mineures pourraient entraîner alors la constipation et d'autres troubles gastro-intestinaux inexpliquées.
Les macrophages de l'intestin se mobilisent en cas d'infection : les macrophages de l’intestin produisent alors des molécules spécialisées qui empêchent les neurones de mourir en cas de stress. C’est la démonstration des chercheurs sur la souris : infection antérieure active ces macrophages pour protéger les neurones lors d'infections futures : lorsque les scientifiques infectent des souris avec une souche non létale de Salmonella, une source bactérienne standard d'intoxication alimentaire, les souris éliminent l'infection en une semaine environ, perdant un certain nombre de neurones entériques au passage. Lorsque les chercheurs « réinfectent » les mêmes souris avec une autre bactérie d'origine alimentaire, cette fois, les souris ne perdent plus de neurones entériques, ce qui confirme que
la première infection induit un mécanisme de tolérance qui empêche de nouvelles pertes de neurones
Les infections parasitaires ont un impact similaire : au-delà même, soulignent les auteurs, certains parasites comme les helminthes ont appris à vivre en nous sans causer de dommages excessifs aux tissus.
Quel mécanisme sous-jacent au développement de cette tolérance ? Les scientifiques montrent que lors d'une infection bactérienne primaire, les neurones interpellent les macrophages, qui se précipitent vers la zone et protègent ses cellules vulnérables des attaques futures. Cependant, lorsqu'un helminthe s'insinue dans l'intestin, ce sont les cellules T qui recrutent les macrophages, les envoyant même dans des parties éloignées de l'intestin pour garantir que toute la communauté de neurones entériques est protégée d’éventuels dommages.
En fin de compte et par différentes voies, les infections bactériennes et helminthiques mènent toutes deux à la protection des neurones entériques.
Quel impact de la perte neuronale dans l’intestin ? « Cette perte pourrait entraîner plus de conséquences que prévu ». La prochaine étape pour l’équipe sera donc de déterminer l'impact précis de la perte neuronale dans le tractus gastro-intestinal sur l'absorption des nutriments, l'apport métabolique et calorique.
Avec probablement des complications sévères pour les personnes qui, pour une raison quelconque, ne développent pas de tolérance et continuent à perdre des neurones entériques à chaque infection et tout au long de la vie …
Source: Cell 29, 0ct 2021 DOI: 10.1016/j.cell.2021.10.004 Enteric pathogens induce tissue tolerance and prevent neuronal loss from subsequent infections
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