Avec des artistes symboles de grande réussite et des textes qui décrivent les difficultés du quotidien et la détresse émotionnelle, le hip-hop est à la fois un genre musical puissant et le moyen privilégié de communiquer avec les minorités plus défavorisées, qui ont moins facilement accès au système de santé, surtout lorsqu’il s’agit de santé mentale. Ces chercheurs de Cambridge, experts en santé mentale et fans de rap, ont imaginé d’utiliser ce vecteur pour lutter contre la stigmatisation des minorités, de leur précarité et de leurs problèmes de santé mentale. Ils apportent dans le British Medical Journal Opinions de nombreux exemples d’artistes hip-hop qui reconnaissent à travers leurs textes et sur les réseaux sociaux « leurs délires », leur anxiété ou leur dépression, contribuant ainsi à lutter contre la stigmatisation autour de ces troubles mentaux.
Le hip-hop est l'un des genres musicaux les plus populaires au monde et 7 des 10 artistes les plus écoutés aux États-Unis sont des rappeurs. Cependant, au-delà de cette audience croissante, le hip-hop présente la particularité de pouvoir se connecter avec des groupes de population plus démunis et plus difficiles à atteindre. « Ces mêmes communautés qui encourent un risque plus élevé de développer des problèmes de santé mentale », écrivent les auteurs.
Le hip-hop pour s’attaquer aux préjugés et à la stigmatisation
Dans cet article, ces deux chercheurs mettent en évidence les nombreux rappeurs ayant contribué à développer cette approche narrative autour de la santé mentale. Akeem Sule est psychiatre consultant à l'Essex Partnership University NHS Foundation Trust et est affilié à l'Université de Cambridge. Becky Inkster est neuroscientifique indépendante et conseillère en santé mentale numérique et affiliée également à l'Université de Cambridge et à l'Institut Alan Turing (Londres). Ces deux chercheurs ont fondé Hip Hop Psych ou le moyen d’utiliser le hip-hop pour s’attaquer aux préjugés, à la discrimination et pour « faire tomber les frontières » entre les patients et les professionnels de la santé et du social.
Les « récits progressistes » du hip-hop parlent de plus en plus de problèmes de santé mentale et cela contribue à lutter contre la stigmatisation : « Chacun peut y reconnaître ses propres luttes intérieures ». Les auteurs citent toute une série d’exemples d’artistes et de textes qui expriment sans réserve les conditions de vie difficiles, les inégalités sociales, les difficultés financières, les privations et la violence dans les quartiers défavorisés. Les réponses en retour, dont les pensées suicidaires et les émotions comme la rage, la colère mais aussi la tristesse. Les déviances et des maltraitances comme les abus sexuels dans l'enfance. Des textes qui engagent chacun à exprimer ses émotions pour s'aider soi-même mais aussi aider les autres.
Réduire la stigmatisation par la narration de la thérapie : plusieurs rappeurs racontent qu’ils se « font soigner » et contribuent ainsi à normaliser la recherche d’aide et de traitement pour des troubles de santé mentale. Depuis les années 2010, les rappeurs se montrent sous un jour plus sensible, reconnaissant dans leurs textes la difficulté de lutter contre l’anxiété et la dépression. En s’avouant fragiles, les artistes hip-hop reconnaissent l’importance de l'aide de professionnels. Ainsi, le hip-hop apparait comme l’un des moyens actuels, à la fois populaire et ciblé, de lutter contre la stigmatisation liée aux troubles de santé mentale et de remédier à l’inégalité d’accès aux soins.
Hip Hop Psych, l'initiative fondée par les auteurs, vise justement à combler, par le hip-hop, le fossé entre la communauté médicale et les minorités. « Nous explorons les symptômes de santé mentale et les états émotionnels des personnages décrits dans les morceaux de rap pour sensibiliser aux différents troubles mentaux. Nous organisons des événements « anti-stigmatisation » dans différents contextes (prisons, boîtes de nuit, associations etc…) et nous éduquons aussi les professionnels de santé à mieux comprendre comment certaines personnes expriment leurs expériences personnelles en matière de santé mentale » : comprendre comment la santé mentale est représentée dans le hip-hop peut offrir une perspective différente aux professionnels de santé, en les aidant à développer de l'empathie avec une personne dont les expériences peuvent être complètement différentes des leurs.
L’objectif est d’ouvrir, grâce au hip-hop, le dialogue entre les personnes issues de communautés ethniques minoritaires et les professionnels et les services de santé mentale (par exemple, demander au patient quel artiste il écoute).
« Nous pensons que le rap peut réellement être un moyen de « normaliser » la santé mentale, et de promouvoir la recherche d'accès au traitement. L'art et la culture sont de puissants moyens d'expression de soi et de narration des expériences de vie », concluent les chercheurs.
Source: British Medical Journal Opinion 9 Dec 2020 Rap's battle with mental health: How hip-hop's progressive narratives are tackling stigma
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