Les bactéries intestinales se défendent au sein du microbiome intestinal et tentent parfois de détruire les organismes voisins. C’est une véritable course aux armements qui est décrite par cette équipe de l’Université de Washington, dans la revue Nature, une course à l'appropiation de gènes de défense mobiles, bien spécifiques, qui protègent contre les attaques toxiques de bactéries rivales.
Ainsi, dans notre intestin, de nombreuses bactéries se disputent leur survie, une bataille silencieuse mais qui « fait rage », écrivent les chercheurs dans leur communiqué. Alors que le rôle du microbiote est aujourd’hui documenté comme majeur dans la santé ou dans le risque de maladies, avec de « bonnes » et « mauvaises » bactéries, il est essentiel de comprendre les forces qui régissent la composition et l’écologie des communautés bactériennes qui composent notre microbiome. Cette étude décrit comment certaines bactéries intestinales acquièrent un arsenal défensif contre un type d'agression toxique menée par les microbes voisins.
Identifier les « gènes de défense » des « bonnes » bactéries pour pouvoir favoriser un microbiote en bonne santé
Le régime alimentaire et la réponse immunitaire ne suffisent pas à expliquer la composition du microbiome intestinal, rappellent ces les scientifiques. « Cette grande bataille entre les micro-organismes qui tentent de survivre dans l'intestin contribue également à la composition de cette communauté microbienne », expliquent les auteurs principaux, Joseph Mougous, professeur de microbiologie à l’UW et Elhanan Borenstein, chercheur spécialisé sur le génome et professeur à l'université de Tel Aviv.
Les bactéries ont de nombreuses stratégies pour survivre et lutter contre des espèces « concurrentes ». Une famille de bactéries intestinales prédominantes, les bactéroïdes, possède un mécanisme de sécrétion permettant d'injecter des protéines toxiques dans les bactéries trop proches. En même temps, ces bactéries se protègent de leurs propres toxines ou de celles de leurs cellules souches grâce à des facteurs d’immunité spécifiques qui neutralisent ces toxines.
Des groupes considérables de gènes de défense interbactérienne sont ici découverts chez plusieurs des espèces de Bacteroides. Des groupes de gènes acquis qui codent pour de grands ensembles de déterminants de l'immunité et qui permettent justement de neutraliser l'impact direct et néfaste des toxines des micro-organismes concurrents. Les chercheurs montrent que ces groupes de défense s’enrichissent de nouveaux gènes d'immunité au fur et à mesure des attaques.
Identifier les facteurs d’immunité : les gènes codant pour les toxines délivrées entre bactéries sont ici identifiés, ainsi que leurs facteurs d'immunité correspondants, via l’analyse d’échantillons prélevés d’intestins humains. Et la découverte est surprenante. En partant d’une espèce bactérienne intestinale connue pour produire de nombreuses toxines, Bacteroides fragilis, l’équipe constate que :
- les gènes conférant l'immunité face à ces toxines sont retrouvés à des niveaux dose-dépendants de la présence de cette espèce. Cette découverte suggère que ces gènes d'immunité sont codés par la bactérie B. fragilis elle-même !
- Cependant, dans d’autres échantillons, les gènes d'immunité apparaissent à des niveaux nettement plus élevés que les marqueurs de présence de B. fragilis. Cette découverte suggère que ces éléments de l'immunité anti-B. Fragilis ont été codés par d'autres bactéries intestinales.
À l'aide d'analyses statistiques, les chercheurs identifient ces bactéries dont B. ovatus, B. vulgatus, B. helcogenes et B. coprocola. En examinant les génomes de ces organismes, ils montrent que ces mêmes bactéries portent des gènes susceptibles de les immuniser contre les toxines délivrées par B. fragilis.
Ces groupes de gènes semblent mobiles : ils peuvent se déplacer indépendamment entre les différents organismes. Lorsque les chercheurs « mettent en contact » une bactérie portant l'un des groupes de gènes de défense, avec une autre bactérie sans défense, les gènes de l'immunité sont transférés chez la bactérie sans défense, lui apportant alors une protection contre les toxines. Ces gènes d'immunité joueraient donc un rôle adaptatif en aidant les bactéries les moins protégées à surmonter les effets toxiques de leurs agresseurs. Cet effet mobile et protecteur est ici démontré lors de la croissance de bactéries dans des boîtes de Pétri.
Ainsi l'appropriation et le maintien de groupes de gènes d'immunité constituent un moyen courant pour les bactéries intestinales de lutter contre les agressions interbactériennes et de maintenir la présence de leur espèce ou de leur souche dans le microbiome intestinal humain.
Source: Nature 30 October 2019 Human gut bacteria contain acquired interbacterial defence systems (Visuel 2 Alice C. Gray)
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