L'intelligence artificielle (IA) peut transformer les pratiques de santé en offrant des services médicaux dans les déserts médicaux (télémédecine), en permettant la chirurgie robotique, en offrant de meilleurs diagnostics, des traitements plus précoces et des conseils santé mieux personnalisés. Cependant l’IA a aussi ses biais, ses limites, et son impact environnemental. Alors que les soins de santé ont une empreinte carbone élevée et que l'IA devient un outil clé de la santé, la réflexion éthique ne doit pas oublier son impact négatif sur l'environnement. Alors que ses différentes utilisations en santé induisent leurs impacts environnementaux, il s’agit de mettre en balance l'impératif de durabilité environnementale avec ses avantages pour la santé.
L’IA est en effet source d’émissions de carbone à tous les stades de son exécution, de la programmation, du développement à son utilisation, en raison de ses fortes demandes d'énergie et de ressources. L'extraction des minéraux, métaux et matériaux nécessaires aux matériels permettant son exploitation a d'énormes implications environnementales.
« L’IA n’a en fait pas grand-chose d’artificiel. C’est une industrie vorace en ressources naturelles, matérielles, logistiques et humaines »,
écrit l’un de ses spécialistes.
Quelques études ont tenté d’approcher l'impact carbone de l'IA dans les soins de santé, avec un accent particulier sur la télémédecine. Un rendez-vous de télémédecine d’une heure pourrait émettre 1,86 à 8,43 kg de CO2 mais ses économies d'empreinte carbone pourraient se situer entre 0,70 et 372 kg de CO2. Les émissions de carbone produites par l'utilisation des systèmes de télémédecine eux-mêmes seraient donc faibles par rapport aux émissions évitées grâce à la réduction des déplacements, notamment. Cette seule application, la télémédecine, pourrait avoir de larges implications dans la réduction de l'empreinte carbone des services de santé à l'échelle mondiale.
Des exemples de développement durable avec l'IA :
- les algorithmes de triage dans les services des Urgences soutiennent cet objectif car ils favorisent l'équité dans les temps d'attente et respectent ainsi un principe biomédical de justice. Ils permettent en effet une allocation des ressources avec un impact clinique optimal. En même temps, soulignent les experts, ces algorithmes sont programmés par des hommes, et les humains sont faillibles. En particulier, lorsque l’algorithme est basé sur l’apprentissage en profondeur, des données erronées au départ peuvent contaminer l'ensemble de la séquence, ce qui peut entraîner des résultats biaisés. Même dans un algorithme d'IA parfaitement conçu, l'efficacité – en termes de santé, de justice et de durabilité – dépend de son exécution humaine. Ensuite, les professionnels de santé conservent la responsabilité de la lecture et de l’application des résultats d'IA.
L’IA peut donc être, dans cette application, à la fois un avantage et un fardeau.
La mise en œuvre incorrecte d’un algorithme d'IA peut aussi causer du tort, soit par le biais d’une erreur médicale, soit par l’exacerbation d’inégalités ou encore par la production de déchets médicaux en excès.
- L'analyse de données texte est un autre exemple d’utilisation durable de l’IA. Cette technique prédictive qui permet de détecter les épidémies émergentes vise à mieux protéger la santé des populations. Une telle utilisation de l'IA peut aussi exploiter les données de symptômes et de transmission des infections pour fournir plus rapidement et plus largement des traitements. C’est un nouvel exemple de justice biomédicale. L’identification plus précoce des symptômes permet d’éviter l'impact carbone plus élevé d'une intervention médicale tardive, ce qui joue en faveur d’une l’économie des ressources. Mais là encore avec des limites, le système est réactif plus que proactif et les faux positifs et les faux négatifs peuvent compromettre sa fiabilité. Enfin, il existe le contre-argument selon lequel les traitements plus précoces réussis « grâce à l’IA » se traduisent aussi par plus de survie donc une utilisation accrue de ressources de santé ; cependant l’argument ne devrait pas être invoqué, car il est bien contraire aux objectifs de la médecine, de refuser de traiter sur la base de la seule utilisation des ressources.
- Le diagnostic et la recherche : l’IA montre des avantages indiscutables dans les secteurs du diagnostic, en particulier des cancers, ces nouvelles techniques permettant de distinguer, au niveau moléculaire, des maladies différentes, en dépit de symptômes similaires. Ces algorithmes jouent également un rôle croissant dans la recherche biomédicale en facilitant la détection de mécanismes complexes et la recherche d'approches thérapeutiques plus ciblées Mais là encore, l’intervention humaine reste nécessaire.
Des exemples d’exploitation non durable de l’IA :
- L'édition de gènes qui a révolutionné la médecine dans de multiples domaines trouve ses limites avec ses applications esthétiques. Cette option purement cosmétique pourrait rapidement devenir un service commercialisé qui exacerbe les inégalités. Les experts relèvent que l’accès à ce type de procédures électives doit être équilibré avec leurs effets environnementaux.
- Les robots de soins qui fournissent une assistance pour le déplacement, certains soins ou simplement une compagnie peuvent conduire à des erreurs avec le risque de dommages pour la santé ou de décès. De là, ils peuvent entraîner une utilisation accrue des ressources de santé. Ces « care bots » réservés aux plus privilégiés font fi du principe de justice biomédicale. Ils nécessitent enfin d'énormes ressources pour leurs mises à jour et leurs remplacements. Ainsi, les experts en robotique médicale concluent que lorsque ces robots sont disponibles, ils devraient être utilisés, avec tout de même la conscience que cette forme d'IA est plus « à valeur ajoutée », qu'au cœur de la médecine…d’autant que les fonctions de nombreux robots sont exécutables de manière équivalente sinon meilleure, par des humains.
Ces exemples de développement et d'utilisation durables et non durables de l'IA illustrent le travail d’évaluation nécessaire de ces technologies, sur la base de critères de santé, de justice, de solidarité et de conservation des ressources. Alors que l'IA devient omniprésente dans les soins de santé, il y a une réticence sociétale à freiner et à repenser son utilisation.
Cependant, travailler à une utilisation durable de l'IA participera à une relation équilibrée et nécessaire entre la technologie et l'écologie.
Sources:
- Bioethics 2022 DOI : 10.1111/bioe.13018 Environmentally sustainable development and use of artificial intelligence in health care
- Yale University Press 2021The atlas of AI
- Future Healthcare Journal 2021 Does telemedicine reduce the carbon footprint of healthcare? A systematic review
- Health Affairs 2014 DOI : 10.1377/hlthaff.2014.0041 Big Data in health care: Using analytics to identify and manage high-risk and high-cost patients
- Nature Biomedical Engineering 2018 DOI : 10.1038/s41551-018-0305-z Artificial intelligence in healthcare
- Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) 2022 DOI : 10.1073/pnas.2118210119 MoSBi: Automated signature mining for molecular stratification and subtyping
- JAMA 2018 DOI : 10.1001/jama.2018.17163 Clinical decision support in the era of artificial intelligence
- Nature Communications 2022 DOI:10.1038/s41467-022-32818-8 Controlling gene expression with deep generative design of regulatory DNA
Laisser un commentaire