Cette équipe de virologues de la Cleveland Clinic vient de décrypter comment certains virus provoquent le cancer. Ces travaux publiés dans la revue Nature Communications, et centrés sur l’herpèsvirus associé au sarcome de Kaposi, identifient ainsi une voie spécifique qui « pilote » l’infection virale et la croissance cellulaire incontrôlée, à l’origine de la formation de tumeurs et ouvrent une nouvelle voie thérapeutique prometteuse.
Les virus sont responsables de 10 à 20 % des cancers dans le monde, et l’incidence de ces cancers est en hausse constante. « Traiter ces cancers induits par le virus avec des thérapies anticancéreuses standard peut permettre de réduire les tumeurs déjà présentes, mais ne permet pas de résoudre le problème sous-jacent du virus », explique l’auteur principal, le Dr Jun Zhao, du Cleveland Clinic Florida Research & Innovation Center.
« Comprendre comment ces agents pathogènes transforment une cellule saine en cellule cancéreuse révèle des vulnérabilités exploitables qui peuvent être ciblées par des médicaments existants », ajoute le chercheur. La découverte de ce mécanisme clé utilisé par l’herpèsvirus (KSHV), associé au sarcome de Kaposi pour induire le cancer a donc des implications cliniques possibles.
Les cancers induits par le KSHV sont rapides, agressifs et difficiles à traiter. On estime que 10 % des populations d’Amérique du Nord et d’Europe du Nord sont porteuses du KSHV et ce chiffre dépasse 50 % dans certaines régions d’Afrique du Nord.
Cette nouvelle compréhension est d’autant plus vitale que comme les autres herpèsvirus, le KSHV n’entraîne souvent aucun symptôme au départ et reste « dormant » dans l’organisme après la primo-infection. Cependant, le KSHV peut se réactiver lorsque l’immunité est affaiblie, comme chez les personnes âgées, les personnes vivant avec le VIH/SIDA et les receveurs de greffe. Dans ces groupes à haut risque, le virus peut s’activer et déclencher des cancers agressifs.
L’étude révèle que le KSHV manipule 2 enzymes humaines appelées CDK6 et CAD pour remodeler la façon dont les cellules humaines produisent de nouveaux nucléotides – les éléments constitutifs de l’ADN et de l’ARN – et traitent le glucose. Ces changements dans les cellules infectées et la capacité de persistance du KSHV exposent les cellules à un risque beaucoup plus élevé de former des tumeurs. Ainsi, CDK6 et CAD jouent un rôle crucial dans l’apparition du cancer.
Le virus active une voie spécifique conduisant au métabolisme et à la prolifération cellulaire. Les cellules cancéreuses qui se reproduisent rapidement reprogramment leur métabolisme pour alimenter leur croissance. Pendant ce temps, la plupart des virus ne peuvent pas produire eux-mêmes l’énergie ou les molécules nécessaires, ils comptent donc sur les cellules humaines pour faire le travail à leur place. L’équipe a découvert que le virus prend le relais des protéines hôtes CDK6 et CAD, provoquant la production par les cellules infectées de métabolites supplémentaires, ce qui permet une réplication plus rapide du virus et une prolifération incontrôlée des cellules.
Un nouvel espoir de traitement : l’inhibition de ce processus avec des médicaments contre le cancer du sein approuvés par la FDA (comme le Palbociclib) permet de réduire la réplication du KSHV, de bloquer la progression du lymphome et de réduire les tumeurs existantes chez des animaux modèles précliniques : les chercheurs observent après traitement, une diminution significative de la taille des tumeurs et une augmentation des taux de survie au cancer ; la plupart des tumeurs ont pratiquement disparu après environ 1 mois de traitement, et les tumeurs restantes ont diminué d’environ 80 %.
La survie a augmenté jusqu’à 100 % pour certains lymphomes.
Ces résultats ont des implications au-delà du KSHV car ces découvertes pourraient être exploitées à d’autres virus associés aux cancers qui pourraient utiliser le même mécanisme.
« Le métabolisme cellulaire semble détourné à la fois par des virus et des cancers, à des fins de pathogenèse », concluent les auteurs. « En étudiant ces mécanismes de recâblage métabolique, nous finirons par trouver un talon d’Achille des virus cancérigènes ».
Source: Nature Communications 16 Feb, 2024 DOI: 10.1038/s41467-024-45852-5 Hijacking of nucleotide biosynthesis and deamidation-mediated glycolysis by an oncogenic herpesvirus
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