Ces biologistes et virologues du Max-Planck-Gesellschaft (Munich) et du Massachusetts Institute of Technology (MIT) décryptent comment la capside du VIH, tel un transporteur, pénètre en douce dans la barrière gélatineuse d’un pore nucléaire, afin de faire passer le génome du virus à travers cette ligne de défense jusqu’au noyau cellulaire. Ces travaux publiés dans la revue Nature ouvrent de nouvelles voies thérapeutiques contre le SIDA.
Environ un million de personnes dans le monde sont infectées chaque année par le VIH responsable du SIDA.
Si 40 ans après son identification, il existe des thérapies qui contrôlent efficacement l’agent pathogène, il n’existe toujours pas de remède curatif. Le virus infecte certaines cellules immunitaires et détourne leur programme génétique afin de se multiplier et de répliquer son propre matériel génétique. Les cellules infectées produisent alors une nouvelle génération de virus jusqu’à ce qu’elles soient finalement détruites. En résultent des symptômes d’immunodéficience liés à la perte massive de cellules immunitaires qui combattent normalement les virus et autres agents pathogènes.
Pour propager l’infection, le virus doit introduire clandestinement son matériel génétique dans le noyau cellulaire
et l’intégrer dans un chromosome. Cette équipe de recherche a décrypté comment, et précisément comment la capside -ou l’enveloppe protéique qui entoure le matériel génétique du VIH- a évolué en transporteur moléculaire : la capside peut ainsi franchir une barrière cruciale, qui protège normalement le noyau cellulaire contre les envahisseurs viraux et introduire clandestinement dans la cellule le génome viral, sans alerter les capteurs antiviraux présents dans le cytoplasme.
Le noyau cellulaire est pourtant étroitement gardé. Son enveloppe nucléaire empêche les protéines indésirables ou les virus nocifs de pénétrer dans le noyau et les macromolécules de fuiter de manière incontrôlée. Pourtant, certaines protéines peuvent passer parce que la barrière n’est pas hermétiquement fermée. Des milliers de minuscules pores nucléaires dans l’enveloppe nucléaire fournissent en effet un passage. Ces pores contrôlent ces processus de transport à l’aide d’importins et d’exportins – des transporteurs moléculaires qui capturent les cargaisons avec des « codes d’accès » moléculaires valides et les livrent par le canal des pores nucléaires. Un matériau « intelligent » transforme ces pores en
l’une des machines de tri et de transport les plus efficaces de la nature.
Un contrôle des frontières efficace et intelligent : ce matériau « intelligent », appelé « phase FG », est gélatineux et impénétrable pour la plupart des macromolécules. Il remplit et bloque le canal des pores nucléaires. Les importations et les exportations, cependant, peuvent passer lorsque leurs surfaces sont optimisées pour glisser à travers une phase FG. Ce contrôle des frontières de la cellule dans la phase FG se produit extrêmement rapidement – en quelques millisecondes. De même, sa capacité de transport est énorme : un seul pore nucléaire peut transférer jusqu’à 1.000 transporteurs par seconde à travers son canal. Même avec une densité de trafic aussi élevée, la barrière des pores nucléaires reste intacte et continue d’empêcher les passages indésirables des frontières.
Le VIH passe cependant du matériel génétique « de contrebande » : le VIH emballe son génome dans une capside. Le génome reste à l’intérieur de la capside jusqu’à ce qu’il atteigne le noyau, et donc durant la traversée du pore nucléaire. Cependant, la capside a une largeur d’environ 60 nanomètres vs une largeur de 40 à 60 nanomètres pour le canal central des pores. Pourtant, les chercheurs observent, via tomographie cryoélectronique que la capside du VIH parvient à se faufiler dans le pore nucléaire.
Un camouflage pour se faufiler : le virus surmonte son problème de taille, notamment grâce à une adaptation moléculaire sophistiquée. La capside du VIH a évolué vers un transporteur doté d’un « camouflage » ou d’une surface semblable à celle de l’importine. C’est ainsi qu’il parvient à « glisser » à travers la phase FG du pore nucléaire. La capside du VIH peut ainsi pénétrer dans le pore nucléaire et contourner le mécanisme de protection qui empêche autrement les virus d’envahir le noyau cellulaire. Les scientifiques constatent même que la capside est comme aspirée dans le canal des pores nucléaires.
Sur un point, la capside du VIH diffère fondamentalement des transporteurs précédemment étudiés qui traversent les pores nucléaires : elle encapsule complètement sa charge et cache ainsi sa charge utile génomique aux capteurs antiviraux du cytoplasme. Grâce à cette astuce, le matériel génétique viral peut passer clandestinement à travers le système de défense cellulaire du virus sans être ni reconnu ni détruit.
Si de nombreuses questions restent encore sans réponse, comme celle de savoir où et comment la capside se désintègre pour libérer son contenu, ces observations qui décryptent précisément le mécanisme de transport du génome du virus dans le noyau de la cellule infectée ouvre la voie à de nouvelles thérapies contre le SIDA.
Source: Nature 24 Jan, 2024 DOI: 10.1038/s41586-023-06966-w HIV-1 capsids enter the FG phase of nuclear pores like a transport receptor
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