Les bactéries utilisent des stratagèmes ingénieux pour se développer dans l’intestin humain, montre cette étude des génomes bactériens, menée par une équipe de microbiologistes de l’Université de Chicago (UChicago). Des travaux présentés dans la revue Nature Biology, qui mettent en évidence l’arsenal d’enzymes que les microbes utilisent pour produire de l’énergie dans l’environnement pauvre en oxygène de l’intestin.
Le microbiome intestinal est indispensable non seulement à la digestion mais aussi à la santé humaine : cet ensemble de bactéries et d’autres micro-organismes présents dans l’intestin nous aide à métaboliser les aliments et à produire des nutriments ou d’autres métabolites qui ont ensuite un impact sur la santé humaine, et de multiples façons. Cette nouvelle recherche identifie certains groupes incroyablement ingénieux ainsi qu’un vaste répertoire de gènes qui les aident à générer de l’énergie pour eux-mêmes et à influencer ainsi la santé humaine.
22 métabolites comme alternatives à l’oxygène pour la respiration dans l’intestin
C’est la découverte stupéfiante de cette recherche, ces 22 métabolites, utilisés par 3 familles éloignées de bactéries intestinales comme alternatives à l’oxygène pour leur permettre de respirer dans l’environnement anaérobie de l’intestin. Ces bactéries possèdent également jusqu’à des centaines de copies de gènes permettant de produire les enzymes qui traitent ces métabolites alternatifs, ce qui est bien plus que le nombre de copies observé chez les bactéries vivant en dehors de l’intestin. Ces observations suggèrent que
les bactéries anaérobies intestinales pourraient également avoir la capacité de produire de l’énergie à partir de centaines d’autres composés.
« C’est donc la découverte de métabolismes particuliers qui agissent sur ces différents métabolites produits par le microbiome intestinal », résume l’auteur principal, Sam Light, professeur de microbiologie à l’UChicago. Une découverte en effet primordiale alors que l’un des principaux impacts du microbiome sur notre santé est de fabriquer ou de modifier ces petites molécules qui peuvent ensuite pénétrer dans notre circulation sanguine et agir comme des médicaments.
Une nouvelle forme de respiration, dans le microbiome : au niveau de l’organisme, la respiration est un processus d’inhalation d’oxygène. Au niveau cellulaire, la respiration décrit un processus biochimique générateur d’énergie. La plupart des cellules utilisent l’oxygène pour respirer, mais dans les environnements anaérobies comme l’intérieur de l’intestin, les cellules ont évolué pour utiliser d’autres molécules.
Les cellules possèdent 2 types de métabolisme pour produire de l’énergie : la fermentation et la respiration. Lors de la fermentation, la cellule décompose les molécules pour générer directement de l’énergie. La respiration implique 2 molécules : une molécule donneuse d’électrons et une molécule receveuse d’électrons. Un exemple classique de ce processus utilise le glucose comme donneur et l’oxygène comme receveur. Les cellules décomposent le glucose en faisant passer les électrons à travers toute une série d’étapes avant leur transfert final vers une molécule d’oxygène. Cela incite la cellule à générer de l’ATP, ou adénosine triphosphate : la source d’énergie de base à utiliser et à stocker au niveau cellulaire.
La plupart des microbes vivant dans l’intestin utilisent la fermentation, mais il existe également plusieurs types connus de bactéries ayant un métabolisme respiratoire, notamment celles qui utilisent des accepteurs d’électrons de dioxyde de carbone et de sulfate.
L’étude qui a analysé une base de données de plus de 1.500 génomes de bactéries intestinales humaines, révèle ainsi une distribution surprenante de gènes produisant des réductases, des enzymes utilisant différents accepteurs d’électrons respiratoires. Alors que la plupart des génomes ne codent que quelques réductases, un petit sous-ensemble en code plus de 30 différentes. Ces bactéries ne s’avèrent pas étroitement liées mais appartiennent à 3 familles distinctes et éloignées (Burkholderiaceae, Eggerthellaceae et Erysipelotrichaceae) séparées par des centaines de millions d’années d’évolution…
Ces bactéries semblent plus ingénieuses que les bactéries dont le métabolisme respiratoire vit en dehors d’un organisme hôte, qui utilisent principalement des composés inorganiques. Les bactéries respiratoires intestinales identifiées ici se sont spécialisées dans le métabolisme de certains métabolites organiques. Cette richesse génétique leur permet d’utiliser une très grande variété de métabolites qui leur arrivent. Certains de ces métabolites ont également des implications intéressantes pour la santé humaine, au niveau de l’intestin : les patients diabétiques de type 2, par exemple, ont des taux plus élevés d’un sous-produit d’acide aminé appelé propionate d’imidazole dans leur sang. Un autre métabolite, le resvératrol, a un impact sur plusieurs processus métaboliques et immunitaires, et un autre composé, l’itaconate est produit par les macrophages en réponse aux infections.
Mieux comprendre la fonction de ces bactéries ingénieuses de l’intestin va donc permettre de développer de nouvelles thérapeutiques, en ciblant ces fonctions, ou ces métabolites.
« Des stratégies d’intervention – que ce soit par le biais de l’alimentation ou de manière pharmacologique – pour moduler le flux de métabolites à travers ces différentes voies », concluent déjà les chercheurs.
Source: Nature Microbiology 4 Jan, 2024 DOI: 10.1038/s41564-023-01560-2 Dietary- and host-derived metabolites are used by diverse gut bacteria for anaerobic respiration
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