Ce comportement qui s’est fortement développé avec la pandémie et qui consiste à scroller sur son écran à la recherche de « mauvaises nouvelles » est le fait de certaines zones bien précises de notre cerveau, ces mêmes zones qui mènent aux troubles obsessionnels compulsifs ou à l’anxiété. C’est la démonstration de cette recherche de neurologues de l'Université de Washington qui identifie précisément les régions du cerveau impliquées dans le choix de vouloir savoir ou pas, si un événement grave est sur le point de se produire. Les neuroscientifiques identifient ici une zone spécifique qui détermine chez chaque individu sa propension à doomscroller ou à préférer la « politique de l'autruche ».
Le terme « doomscrolling » qui décrit l'acte de faire défiler sans cesse les mauvaises nouvelles sur les réseaux sociaux et de lire chaque détail inquiétant, un comportement devenu une habitude chez de nombreuses personnes, pendant la pandémie de COVID-19, mène à l’obsession d’être au courant du risque d’événements indésirables que l'individu n'a probablement pas le pouvoir d'empêcher. Cette obsession repose sur des processus sous-jacents aux troubles psychiatriques tels que les troubles obsessionnels compulsifs et l'anxiété, expliquent ces experts.
La biologie de notre cerveau joue un rôle clé dans ces comportements
A la recherche de voies moléculaires ou de régions spécifiques dans le cerveau, impliquées dans cette forme de recherche et d’addiction aux mauvaises nouvelles, les scientifiques de Washington identifient des zones et des cellules spécifiques cérébrales qui s’activent lorsqu'un individu est confronté au choix de savoir ou ou d’ignorer des informations concernant un événement négatif, tout à fait indépendant de sa volonté. Comme la progression de la pandémie par exemple, ou de nouvelles mesures de confinement.
« Savoir ce qui va arriver de négatif ? » De premières études chez des singes avaient identifié 2 zones cérébrales impliquées dans la dissipation de l'incertitude concernant des événements à venir mais ces zones correspondaient plutôt à la recherche d’informations sur les « bonnes choses » qui peuvent arriver, comme la récompense. Mais qu’en est-il lorsque la recherche d’informations concerne des événements négatifs ? En clinique, l’exemple est donné de patients qui préfèrent, plutôt que de faire un test génétique, ignorer qu’ils ont une maladie grave. Certains préfèreront ainsi attendre jusqu'à l'apparition des symptômes. « Nous autres cliniciens nous constatons un comportement de recherche d'informations chez certains patients et mais cette recherche est redoutée chez d'autres ».
Certains veulent savoir, d’autres ne préfèrent pas : les chercheurs ont appris aux singes à reconnaître quand quelque chose de désagréable pourrait se produire. En pratique les singes ont été formés, à l’aide d’une série de plusieurs signaux, à reconnaître qu'ils étaient sur le point de recevoir une bouffée d'air irritante au visage. Les chercheurs ont mesuré si les animaux voulaient savoir ce qui allait se passer en observant leur comportement (attention marquée ou détournement des yeux !). Comme les humains, les singes peuvent adopter des attitudes différentes envers les mauvaises nouvelles :
« certains veulent savoir, d’autres ne préfèrent pas ».
Et des animaux qui peuvent avoir le même comportement lorsqu’il s’agit de la recherche d’information sur un événement positif à venir, n’ont pas obligatoirement le même comportement quand l’événement à venir est négatif : les 2 situations font donc appel à 2 processus neuronaux différents.
Une zone clé, le cortex préfrontal ventrolatéral : alors que le cortex cingulaire antérieur, code indifféremment les données associées aux attitudes adoptées face aux bonnes et mauvaises possibilités, une deuxième zone cérébrale, le cortex préfrontal ventrolatéral contient des cellules individuelles dont l'activité reflète les attitudes globales des singes : oui pour des informations sur les bonnes ou mauvaises possibilités vs oui pour des informations sur les bonnes possibilités uniquement.
Des cerveaux « en retard » sur l’ère de l’information : en décryptant ces mécanismes cérébraux du doomscrolling, l’équipe contribue aussi à expliquer ces mêmes processus sous-jacents aux troubles psychiatriques tels que les troubles obsessionnels compulsifs, l'anxiété, ou la dépression. « En cause dans la progression de la prévalence de ces maux du siècle, des cerveaux encore mal adaptés pour faire face à l'ère de l'information », commente l’auteur principal, le Dr Ilya Monosov, professeur agrégé de neurosciences, de neurochirurgie et de génie biomédical :
« Les gens vérifient, vérifient et revérifient constamment les nouvelles, et certaines de ces vérifications sont totalement inutiles. Nos modes de vie modernes finiront par remodeler les circuits de notre cerveau qui ont évolué au cours de millions d'années pour nous aider à survivre dans un monde en constante évolution ».
Traiter l’incapacité à gérer l'incertitude : comprendre les circuits neuronaux sous-jacents à l'incertitude et à la recherche d’information face aux événements négatifs à venir est une étape vers de meilleures thérapies pour les personnes souffrant d'anxiété et de troubles obsessionnels compulsifs, qui impliquent une incapacité à tolérer l'incertitude.
Source: Neuron June 11, 2021 DOI: 10.1016/j.neuron.2021.05.013 A prefrontal network integrates preferences for advance information about uncertain rewards and punishments
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