Face à la menace croissante des antibiorésistances, la question peut paraître politiquement incorrecte : « Les antibiotiques peuvent-ils permettre de traiter certaines maladies humaines, en plus des infections bactériennes ? ». L’équipe de l’University of Illinois at Chicago (UIC) répond de manière positive à la question et démontre, dans la revue Nature Communications, que ces médicaments conçus pour lutter contre les bactéries ont aussi et théoriquement le potentiel d'agir sur les cellules humaines, et de supprimer la production de protéines toxiques.
Ces pharmacologues suggèrent ainsi que les antibiotiques utilisés pour traiter les infections courantes, comme la pneumonie et la sinusite, pourraient également être utilisés pour traiter des maladies humaines, comme le cancer. Ainsi, chez la levure, un antibiotique (en vert sur visuel ci-dessous), se lie au ribosome de levure de type humain (en gris) et favorise la synthèse de certaines protéines (r orange, violet et bleu) mais pas d'autres (en vert).
Les antibiotiques modifient les ribosomes eucaryotes de la même manière que les ribosomes procaryotes.
Les champignons, les plantes et les animaux – comme les humains – sont des eucaryotes, constitués de cellules qui ont un noyau clairement défini. Les bactéries, en revanche, sont des procaryotes, des organismes constitués de cellules qui n'ont pas de noyau et ont une structure, une taille et des propriétés différentes. Les ribosomes des cellules eucaryotes et procaryotes, responsables de la synthèse protéique nécessaire à la croissance et à la reproduction cellulaires, sont également différents.
Les antibiotiques peuvent donc influer sur la synthèse protéique chez les humains, en théorie du moins : « certains antibiotiques, utilisés pour traiter les infections bactériennes, fonctionnent de manière intéressante. Ils se lient au ribosome des cellules bactériennes et inhibent très sélectivement la synthèse des protéines. Certaines protéines peuvent être fabriquées, mais d'autres ne le peuvent plus », explique l’auteur principal, Alexander Mankin, professeur de chimie et de pharmacologie à l’UIC. « Sans ces protéines, les bactéries meurent ». Lorsque les patients utilisent des antibiotiques pour traiter une infection, les cellules du patient ne sont pas affectées car les médicaments ne sont pas conçus pour se lier aux ribosomes de formes différentes des cellules eucaryotes.
Cependant, il existe de nombreuses maladies humaines causées par l'expression de protéines indésirables
(comme le cancer ou les maladies neurodégénératives, par exemple), l’équipe a regardé s'il serait possible d'utiliser un antibiotique pour arrêter la production cellulaire de protéines indésirables.
Des antibiotiques pour stopper la production de protéines toxiques ? Chez la levure, un eucaryote avec des cellules similaires aux cellules humaines, les chercheurs ont développé un ribosome ressemblant davantage à celui d’une bactérie et montrent qu’il est en effet possible de fabriquer un antibiotique macrolide – une classe commune d'antibiotiques qui agit en se liant aux ribosomes bactériens – efficace sur le ribosome de la levure. Ils montrent ensuite sur la levure que l’antibiotique macrolide peut arrêter via le ribosome eucaryote, la production de certaines protéines en fonction de leurs signatures génétiques spécifiques. Sur un plan théorique, les antibiotiques peuvent donc être utilisés pour inhiber sélectivement la synthèse des protéines dans les cellules humaines et utilisés pour traiter les troubles humains causés par des protéines toxiques.
C’est une base de départ pour de nouvelles recherches, celles d’antibiotiques capables de se lier aux ribosomes eucaryotes non modifiés et d'inhiber les protéines toxiques, -et seulement toxiques pour l’Homme.
Source: Nature Communications 14 May 2021 DOI: 10.1038/s41467-021-23068-1 Context-specific action of macrolide antibiotics on the eukaryotic ribosome
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