Cette équipe de scientifiques de l'EPFL s’attaque à l’étude de la régulation de l’horloge circadienne dans l’objectif de mieux comprendre les variations des rythmes circadiens entre individus d’une population. Cette étude expérimentale, menée chez la mouche des fruits, aboutit à des conclusions majeures :
- la très grande majorité des gènes (et de leur expressions) est sous l’emprise de l’horloge, quelques gènes seulement participant à sa régulation.
- Chaque individu a réellement son propre rythme circadien.
- Enfin, certaines mutations peuvent perturber le «photo-entraînement» de l’horloge, c’est-à-dire induire son décalage par rapport au cycle jour-obscurité.
Ces travaux publiés dans la revue Science Advances vont contribuer à mieux comprendre les maladies caractérisées par une perturbation de l’horloge, mais apportent aussi une explication plus immédiate : être un lève-tôt ou un oiseau de nuit est bien la conséquence d’une « variation interne et individuelle de l’expression circadienne ».
Les scientifiques utilisent la drosophile comme modèle d’étude du rythme circadien depuis plus d'un siècle maintenant. D'abord proposée par l'entomologiste Charles W. Woodworth en tant qu'organisme modèle, son utilisation dans la recherche a été lancée par le généticien Thomas H.Morgan qui dirigeait sa célèbre « Fly Room à l'Université Columbia » au début des années 1900. Plus récemment, en 2017, le prix Nobel de physiologie ou médecine était décerné à 3 scientifiques pour leurs travaux sur les mécanismes moléculaires qui contrôlent le rythme circadien, des travaux également menés sur la mouche des fruits Drosophila melanogaster. Parce qu’elle partage environ 60% de l'ADN humain, la mouche a ainsi permis et permettra encore de nombreuses découvertes scientifiques.
La chronobiologie explique le rythme de vie
Le rythme circadien, un processus partagé par pratiquement tous les organismes vivants, dont la mouche et les humains, affecte, au-delà du sommeil et du réveil, plusieurs fonctions biologiques, dont notamment la libération d'hormones, l'alimentation et la digestion, ainsi que la température corporelle. Le rythme circadien d'une personne semble également influencer le moment où certains médicaments seront les plus efficaces, c’est la chronopharmacologie.
Plus de 700 «transcriptomes» sous la loupe : l’équipe, dirigée par dirigés par Maria Litovchenko et Bart Deplancke, mène la recherche à partir du Drosophila Genetic Reference Panel (DGRP), qui contient plus de 200 lignées génétiquement distinctes de mouches. Le génome de chaque lignée a été entièrement séquencé afin que les scientifiques puissent repérer les différences entre les génotypes, puis les relier aux différences entre les phénotypes, ce qui permet finalement de relier les gènes à leurs fonctions.
Les scientifiques ont échantillonné plus de 700 «transcriptomes» spécifiques aux tissus. Dans un organisme ou un tissu ou simplement une cellule, les gènes sont décodés ou « transcrits » en ARNm. Ainsi, un transcriptome est un ensemble de tous les transcrits d'ARN provenant de l'ADN d'un organisme, codant ou non codant.
Un suivi toutes les 9 mn : les scientifiques ont utilisé l'ARNm d'une souche de mouche comme ARNm «témoin», puis ont échantillonné l'ARNm de 141 lignées à des intervalles d'environ 9 minutes afin de regarder comment les transcriptions des gènes changeaient au fil du temps dans différentes lignées et de comprendre comment le patrimoine génétique et le rythme circadien de la mouche des fruits affectent ensemble l'expression de différents gènes dans des tissus distincts. Ces analyses ont permis de générer la première série chronologique d'expression des gènes chez la drosophile, ce que les scientifiques appellent « un atlas complet de l'expression génique circadienne ».
3 conclusions sur le rythme circadien : ces travaux apportent également des données sans précédent sur l'étendue et la nature génomique de la variation de l'expression des gènes au cours du cycle circadien, et permettent aux scientifiques de formuler 3 conclusions :
- l'horloge règne en maître sur les gènes : l’analyse identifie plus de 1700 gènes dont les cycles d'expression sont sous contrôle de l'horloge circadienne, seulement 14 gènes étant identiques dans tous les tissus de la mouche des fruits ; ces gènes ont un impact significatif sur plusieurs paramètres des rythmes de l'activité locomotrice et étant donné qu’ils ont des orthologues (gènes similaires) chez les souris, les babouins et les humains, ces s résultats suggèrent fortement qu'ils sont également des régulateurs d'horloge de base chez les mammifères.
- chaque mouche (chaque humain) peut avoir son propre rythme circadien : ainsi, l'horloge physiologique d'environ un tiers des lignées de drosophiles s'écarte significativement de l'horloge circadienne de plus de 3 heures.
Cela contribue à expliquer les comportements « lève-tôt » ou « oiseau de nuit »
- une petite mutation génétique peut perturber le «photo-entraînement» ou l'alignement du rythme circadien sur le modèle jour-nuit de l’environnement. Et les chercheurs confirment in vivo l'importance de ce mécanisme évolutif de photo-entraînement.
Quelles implications chez l’Homme ? De toute évidence, il serait impossible de mener de telles études chez les humains, car il n’est pas envisageable de prélever des échantillons de tissus humains pendant 24 heures d’affilée…Les scientifiques confirment que la drosophile est un excellent modèle d’étude du rythme circadien chez l'Homme.
Ces nouvelles données non seulement permettent de mieux comprendre les maladies caractérisées par un dérèglement de l’horloge (insomnie, cancer…) mais soutiennent les promesses de la chronopharmacologie.
Source: Science Advances 29 Jan 2021 DOI: 10.1126/sciadv.abc3781 Extensive tissue-specific expression variation and novel regulators underlying circadian behavior
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