L’effet « matrice » des aliments : nous consommons des aliments, pas seulement des nutriments
Depuis plus d’un demi-siècle, l’étude des relations entre alimentation et santé s’est focalisée sur les nutriments des aliments considérés isolément : lipides, glucides, protéines, micronutriments. Cette approche réductionniste qui lie un nutriment à un effet santé est parfaitement légitime quand il s’agit de pathologies de carence : le scorbut est lié à une carence en vitamine C et guérit avec la consommation d’agrumes.
Mais elle devient inadaptée lorsqu’il s’agit des pathologies multifactorielles et chroniques qui affectent aujourd’hui la santé des populations. La valeur nutritionnelle d’un aliment ne se résume pas aux nutriments qu'il contient, mais varie en fonction de la matrice de l'aliment, de la structure des nutriments dans cette matrice et des interactions avec les autres constituants de l'aliment.
Nous mangeons des aliments, pas des nutriments.
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Considérer qu’un aliment est plus que la somme des nutriments qui le composent et passer ainsi d’un concept purement quantitatif de l’alimentation à une vision holistique, intégrant également les aspects qualitatifs, crée un nouveau paradigme en nutrition : l’effet matrice.
Les effets des nutriments sur la santé peuvent être différents lorsqu’ils sont combinés au sein de structures particulières que sont les matrices alimentaires.
Ceci reflète la complexité des aliments et rend compte du fait que les nutriments ne suffisent pas à expliquer tous les effets des aliments en termes de physiologie et de santé. La présence de fibres, de protéines, de micro-nutriments, etc …, au sein d’une matrice alimentaire peut entraîner des interactions entre les nutriments. Ainsi, des aliments, avec la même quantité d’un constituant, ne sont pas forcément équivalents sur le plan nutritionnel ou santé.
Cette approche bouscule la vision réductionniste de la nutrition sur l’effet santé des aliments. L’aliment ne peut être seulement considéré comme une simple addition de constituants mais comme une structure complexe qui influence le devenir digestif des nutriments, leurs effets métaboliques et in fine leurs effets sur la santé à long terme.
Les exemples illustrant cette approche sont de plus en plus nombreux, en particulier pour les produits laitiers, groupe d’aliments ayant une composition riche en nutriments variés, et qui a été le plus étudié.
La première démonstration de l’effet matrice appliqué aux produits laitiers s’observe dans le domaine cardio-vasculaire. En raison de la composition en lipides et acides gras saturés des fromages et des produits laitiers, on pourrait s’attendre à ce que ces aliments aient un effet négatif sur le cholestérol et le risque cardio-vasculaire. Or il n’en est rien, comme l’a montré une série de travaux menés par une équipe danoise : entre autres mécanismes explicatifs, le fromage contient aussi du calcium, qui se lie aux acides gras, ce qui entraîne une diminution de l’absorption des lipides par l’intestin ; l’interaction calcium/acides gras explique l’absence de conséquence négative sur le taux de cholestérol sanguin et le risque cardio-vasculaire. C’est l’illustration parfaite de l’effet matrice de l’aliment : des nutriments organisés selon des structures physico-chimiques complexes qui interagissent et modulent l’effet sur le métabolisme et donc sur la santé
C’est sans doute cet effet qui explique, au moins en partie, pourquoi les études épidémiologiques concluent à une absence de relation entre la consommation de produits laitiers et les maladies cardio-vasculaires, voire à un effet protecteur.
Il en va de même pour la santé osseuse. Calcium, protéines, vitamine D etc sont autant de nutriments de l’os contenus dans le lait et les produits laitiers qui en expliquent les impacts positifs. Mais les études montrent que c’est avant tout l’aliment dans son ensemble qui est protecteur, plus que ses composants considérés isolément. Le concept de l’effet matrice des produits laitiers est bien l’interaction de leurs nutriments au profit de la masse osseuse.
Ces avancées scientifiques récentes permettent d’appréhender autrement notre alimentation. Elles suggèrent qu’il est important d’avoir une vision holistique de la valeur nutritionnelle et santé des aliments notamment lorsqu’il s’agit de recommandations alimentaires. L’effet matrice des aliments reflète ainsi l’idée qu’il est nécessaire de passer d’un système de recommandations alimentaires basé sur les nutriments à un système basé sur une approche alimentaire plus globale, à l’interface de la science des aliments et de la nutrition humaine.
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