On sait que la longueur des télomères est un marqueur de vieillissement cellulaire et que plus on vieillit, plus les télomères raccourcissent. Et plus on vieillit plus le risque de cancer grandit. Cependant, le raccourcissement des télomères pourrait protéger contre le cancer, concluent ces biologistes moléculaires de l’Université Rockefeller (New York). Leurs travaux, présentés dans la revue eLife, apportent une première preuve -surprenante- que des télomères trop longs sont des activateurs de tumeur et que le raccourcissement des télomères permet de prévenir la croissance de la tumeur. Probablement en raison de l’effet de réduction de la division cellulaire.
Au fil du temps, les extrémités de nos chromosomes raccourcissent. La longueur de nos télomères peut donc prédire la façon dont notre corps vieillit et permettre d'évaluer notre vulnérabilité aux maladies chroniques. Ce processus a d’ailleurs longtemps été considéré comme un effet secondaire indésirable du vieillissement, cependant cette étude semble indiquer un effet contraire : « Les télomères protègent le matériel génétique », explique le Pr Titia de Lange. « L'ADN se raccourcit lorsque les cellules se divisent, lorsque la réserve de télomères est épuisée cela stoppe la division cellulaire ».
Une relation sensible entre les télomères et le cancer
Cette analyse génomique des mutations chez des familles ayant des antécédents de cancer exceptionnels éclaire en effet la relation entre les télomères et le cancer. Dans les cellules souches, y compris celles qui génèrent des ovules et du sperme, les télomères sont maintenus par la télomérase, une enzyme qui ajoute de l'ADN télomérique aux extrémités des chromosomes. La télomérase n'est pas présente dans les cellules humaines normales, c'est pourquoi les télomères raccourcissent avec le temps. Ce programme de raccourcissement des télomères limite le nombre de divisions de cellules humaines normales à environ 50.
L’hypothèse que le raccourcissement des télomères pourrait faire partie de la défense du corps contre le cancer a été proposée pour la première fois il y a des décennies : elle repose sur le fait qu’une fois qu'une cellule tumorale de stade précoce s'est divisée 50 fois, l'épuisement de la réserve de télomères bloque sa division et donc le développement du cancer. Seuls les cancers parvenant à activer la télomérase pourraient franchir cette barrière.
Les observations cliniques vont dans le sens de cette hypothèse : la plupart des cancers cliniquement détectables ont réactivé la télomérase, souvent par mutations. De précédentes expériences sur des souris ont montré que le raccourcissement des télomères peut effectivement protéger contre le cancer. Cependant, la voie du suppresseur de tumeur des télomères ne peut fonctionner que si nous sommes nés avec des télomères de la bonne longueur ; si les télomères sont trop longs, la réserve de télomères ne s'épuisera pas à temps pour arrêter le développement du cancer. Des télomères plus longs donneront aux cellules cancéreuses des divisions supplémentaires au cours desquelles des mutations peuvent s'insinuer dans le code génétique, y compris des mutations qui activent la télomérase.
Ici, l’équipe identifie un ensemble de protéines qui peuvent limiter la longueur des télomères dans les cellules humaines en culture, parmi lesquelles une protéine appelée TIN2. Lorsque TIN2 est inhibé, la télomérase sur-allonge les télomères. Chez ces familles vulnérables au cancer, les chercheurs ont découvert que des mutations dans TINF2, le gène qui code pour la protéine TIN2-qui joue donc un rôle déterminant dans le contrôle de la longueur des télomères. Par technique d’édition du génome CRISPR, les scientifiques ont pu concevoir des cellules présentant exactement les mêmes mutations que celles observées dans ces familles atteintes de cancer. Ces cellules mutantes se trouvent avoir des télomères entièrement fonctionnels mais trop longs.
« Ces patients atteints de cancers « héréditaires » ont des télomères bien au-dessus du 99e percentile ».
Être né avec de longs télomères peut entraîner un risque accru de cancer. En effet chez ces familles, la perte de la voie du suppresseur de tumeur télomérique a conduit au cancer du sein, au cancer colorectal, au mélanome et au cancer de la thyroïde.
Ces cancers auraient normalement été bloqués par le raccourcissement des télomères.
Ainsi, « la façon dont sont régulés les télomères est une question fondamentale ». Ces travaux permettent de mieux comprendre les origines de certains cancers mais suggèrent aussi de pouvoir agir sur des télomères, lorsqu'ils sont trop longs, pour réduire le risque.
Source: eLife 1 Dec, 2020 DOI : 10.7554/eLife.61235 TINF2 is a haploinsufficient tumor suppressor that limits telomere length
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