Sur l’automédication en libre service à l’officine
Philippe Gaertner est Président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France.
S: Quelques mois après la parution du rapport réalisé par Alain Coulomb et Alain Baumelou sur la situation de l’automédication en France et les perspectives d’évolution, le décret autorisant le libre accès à certains médicaments a été publié. Cela donne l’impression que tout est allé très vite ?
P. G. : Cela dépend de ce que l’on appelle très vite. C’est allé vite dans le sens où cette thématique était inattendue avant la parution de ce rapport. Surtout qu’entre la parution de celui-ci, en mars 2007, et l’annonce de la mesure par Madame Bachelot 7 mois après, on a pu penser que le débat était enterré. Ensuite, à partir du moment où la ministre s’est prononcée en faveur du libre accès, il a fallu le temps nécessaire de consultation avec l’Ordre, de modifications réglementaires et déontologiques et de finalisation par l’AFSSAPS.
S : Depuis le mois de juillet, où l’on a beaucoup parlé de cette nouvelle mesure, on a un peu l’impression que l’engouement pour la mise en place des médicaments en libre accès est retombé ?
P. G. : Je n’ai pas l’impression que ce soit retombé. Je pense qu’il faudra à peu près un an pour qu’environ 75 % des pharmaciens disposent d’un rayon de médication officinale. Il faut être conscient que cette mesure est un bouleversement pour notre profession, qui s’accompagne de contraintes matérielles non négligeables. Prenons par exemple l’aménagement de l’officine. En dehors de ceux qui refont entièrement leur officine, la mise en place de médicaments en libre accès demande de réfléchir à un nouvel agencement. La plupart des pharmaciens n’ont pas, dans la partie front office, de place disponible.
Les rayons à proximité des comptoirs, puisque le décret pose cette condition, sont déjà occupés. C’est un peu le jeu des chaises musicales. De plus, il y a des périodes plus propices pour développer ce rayon. L’automne et l’hiver, avec les pathologies hivernales, ont permis de mettre en avant un certain nombre de produits dans ce cadre-là.
S : Il y a une certaine inquiétude de la part des pharmaciens mais aussi de leur équipe, des préparateurs notamment ?
P. G. : Le libre accès bouleverse complètement ce que les pharmaciens ont appris pendant leurs études. C’est un virage à 180°. Tout ce qu’on disait de ne pas faire, c’est-à-dire disposer des médicaments à la portée des clients, est aujourd’hui autorisé. Cela me rappelle lorsque la vente libre des seringues a été autorisée. Cette mesure avait bouleversé la pratique professionnelle et il a fallu pratiquement une décennie pour qu’elle soit acceptée de tout le monde. Pour le libre accès, c’est la même chose. Il faudra du temps pour la mise en œuvre de cette nouvelle règle.
S : Quelques pharmaciens sont réticents et préfèrent attendre encore avant de mettre en place un espace de médication officinale ?
P. G. : Aujourd’hui, la mesure ne convainc pas encore 50 % des pharmaciens, pour plusieurs raisons. D’abord, ce bouleversement dans la pratique officinale que j’ai évoqué précédemment. Ensuite, la liste proposée par l’AFSSAPS reste relativement restreinte. Les officines qui ne commandent pas en direct les produits inscrits sur cette liste ne disposent pas d’un stock suffisant. Or, il est difficile de ne présenter qu’une ou deux boîtes en rayon. Il est nécessaire que la liste s’étoffe, ce qui est d’ailleurs prévu (des listes complémentaires ont d’ailleurs été publiées depuis le mois de juillet). Enfin, le pharmacien doit repenser le référencement des produits en fonction de cette nouvelle organisation. Tout cela prendra du temps.
S : Les consommateurs ne semblent pas très concernés par cette mesure ?
P. G. : Comme toujours, il est difficile de changer des habitudes du jour au lendemain. Les clients ont l’habitude de se présenter au comptoir pour avoir des médicaments. D’ailleurs, je pense que le libre accès ne concerne qu’une catégorie de la population, la population active, qui veut aller vite, qui veut se soigner sans perdre de temps chez le médecin.
S : Finalement, on peut s’interroger quant à l’objectif de cette mesure : est-elle faite pour le consommateur ou pour favoriser le développement du marché de l’automédication ?
P. G. : Je n’ai personnellement jamais pensé que le fait d’autoriser le libre accès pour un certain nombre de médicaments allait multiplier les ventes. On dit déjà que le français est grand consommateur. Cette mesure est faite pour le consommateur, pour lui permettre de comparer les produits, y compris les prix.
On lui donne l’accès à un certain nombre de produits qui sont jugés sans risque particulier et pour lesquels le pharmacien et son équipe sauront l’accompagner. C’est très important de comprendre ce nouveau comportement vis-à-vis du consommateur.
S : Justement, comment se préparer à cette évolution de comportement ?
P. G. : La formation. Nous devons nous former et former nos équipes. Avec le libre accès, un des enjeux majeurs pour la profession est d’induire un nouveau comportement d’accompagnement systématique, accompagnement que nous ne faisons pas suffisamment actuellement. Il y a toute une partie de formation comportementale que nous devons apprendre, à laquelle nous devons nous adapter. Aujourd’hui, nous sommes face à un phénomène que nous ne connaissions pas jusqu’à présent. Le client peut se présenter au comptoir avec une boîte de médicament dans les mains et le pharmacien doit s’assurer que le choix est judicieux. Le pharmacien doit savoir reprendre un médicament des mains de son client et lui dire « non, ce n’est pas ce médicament qu’il vous faut ».
Même si les clients vont parfois trouver notre discours répétitif ou rébarbatif parce qu’ils l’ont déjà entendu un certain nombre de fois, notre devoir est de les informer et de les orienter au mieux. Il est préférable de poser des questions pour rien que de ne pas les poser.
S : Le rapport Attali, la campagne Leclerc… les pharmaciens ont été attaqués à différentes reprises, notamment sur les prix. Depuis, il semble qu’il y ait une prise de conscience pour mener des politiques de prix justes ?
P. G. : Bien sûr. Un mois après la mise en place du libre accès, nous avons constaté une petite baisse de prix. Petite mais significative eu égard au contexte général. En chiffre, la baisse constatée était de 2,5 %. Avec une inflation de 3,6 %, on obtient un delta de 6 % ce qui est loin d’être négligeable.
S : Selon différents sondages, les patients font confiance au pharmacien. Ils le considèrent comme un professionnel de santé de proximité. C’est encourageant pour l’avenir de la profession ?
P. G. : En effet, les patients veulent une pharmacie de proximité. L’organisation actuelle leur convient. Mais cette organisation ne doit pas être figée. Nous devons la faire évoluer positivement.
Interview réalisé par Pierre Frémit, pharmacien, pour Santé log- Février 2009
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