« Nous avons un gros travail à réaliser en matière de communication ».
Le Professeur Alain Baumelou est professeur de néphrologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) et président du Groupe de travail Prescription médicale facultative à l’AFSSAPS. Il est le co-auteur (avec Alain Coulomb) du rapport sur la situation de l’automédication en France et les perspectives d’évolution.
S : Vous êtes le co-auteur du « rapport sur la situation de l’automédication en France et les perspectives d’évolution », demandé par Xavier Bertrand lorsqu’il était ministre de la Santé. Vous qui êtes médecin néphrologue en milieu hospitalier, qu’est-ce qui vous a motivé pour participer à ce travail ?
A. B. : Le changement profond de comportement de tous les acteurs concernés par la santé, qu’ils soient médecins, pharmaciens ou patients. Nous parlons de l’automédication mais finalement, mon idée n’a jamais été de développer le marché de l’automédication mais d’améliorer ce comportement, de le sécuriser. L’automédication existe depuis longtemps. D’ailleurs, il est intéressant de rappeler que 10 ans après la naissance de la Sécurité sociale, plus de 50 % des principes actifs étaient disponibles sans ordonnance. C’est la Sécurité sociale qui a mis à mal l’automédication.
S : Lors de la publication du rapport, les pharmaciens se sont senti menacés, considérant la mise en place du libre accès comme une brèche dans le monopole pharmaceutique. Pourtant, le rapport insiste sur la nécessité de préserver le circuit officinal ?
A. B. : Tout à fait ! Nous sommes partis de ce principe-là : garder comme pivot le conseil pharmaceutique. Notre objectif n’était pas de tout bousculer. Pour réussir cette évolution de comportement en matière d’automédication, il fallait rester sur une base solide, ce qu’offre la pharmacie d’officine. De plus, à mon avis, cette évolution de la pratique officinale est le plus sûr moyen de protéger la pharmacie. Le président Parrot l’a très bien compris, en modifiant très rapidement sa position. C’est un élément supplémentaire de valorisation de l’officine pharmaceutique par rapport aux grandes surfaces.
S: Selon plusieurs études, les français ont tendance à consommer beaucoup de médicaments. N’est-ce pas paradoxal de vouloir parallèlement développer l’automédication ?
A. B. : Le problème de la polymédication est lié à la prescription. Rien à voir avec l’automédication. Il faut réguler les médecins. La prescription en France est totalement anarchique. Un patient qui entre dans le bureau d’un médecin s’attend à ressortir avec une ordonnance entre les mains ; c’est spécifique à la France. Ce n’est pas l’automédication qui est la source de la polymédication chez les sujets âgés ! Ce n’est pas l’automédication qui est la source d’une surconsommation de médicaments du système nerveux central ! La prescription en France est de mauvaise qualité. Pour ma part, j’essaie de rendre l’automédication de meilleure qualité.
S : Comment améliorer le comportement d’automédication du patient ?
A. B. : Ce qui me soucie le plus dans ce dossier, c’est de protéger le patient. Par exemple, à cause des noms de spécialités, le patient ne se rend pas compte des cumuls de principes actifs. Pour limiter ces risques, le dossier pharmaceutique est indiscutablement un élément majeur. D’un autre côté, il faut développer l’information : l’information du corps médical et l’information du patient, en utilisant tous les canaux d’informations possibles pour prévenir ces risques.
S : L’information du corps médical ?
A. B. : Le médecin ne dispose pas d’outils suffisants pour approfondir ses connaissances sur les médicaments de prescription médicale facultative. Il y a peu de compendium ou de dictionnaires pharmaceutiques répondant à ses besoins. C’est pourtant indispensable qu’il connaisse ces médicaments de façon à susciter le dialogue avec le patient, d’être pleinement dans son rôle d’éducateur thérapeutique.
S : Comment susciter l’intérêt du patient pour le médicament ?
A. B. : C’est le problème de l’éducation thérapeutique. Mon intérêt initial est celui-là : développer l’information. C’est indispensable pour deux raisons : d’une part la démographie médicale en chute libre, rendant l’accès à un médecin difficile dans certaines régions, et d’autre part le décalage considérable entre la connaissance des patients sur leur pathologie et le niveau d’éducation générale. Je dis souvent que si l’on apprenait à manier les médicaments comme on apprend à manier les ordinateurs, ce serait absolument merveilleux. Nous avons donc un gros travail à réaliser en matière d’information.
S : À l’occasion de la mise en place du libre accès, l’AFSSAPS a publié plusieurs documents d’informations sur l’aspirine, le paracétamol mais aussi sur des pathologies bénignes comme le rhume ou l’herpès labial…
A. B. : En effet, l’AFSSAPS s’est investi mais, ce qui est beaucoup plus intéressant, c’est de constater les nombreuses mesures prises à côté, soit par les industriels des médicaments, soit par d’autres instances comme le Cespharm ou la Mutualité française. Il y a une volonté générale forte de développer cette information.
S : Lors d’une de vos interventions devant l’Académie nationale de pharmacie, vous avez exposé votre avis sur les listes actuelles des substances vénéneuses. Vous souhaiteriez une révision de celles-ci ?
A. B. : Je pense que les listes sont complètement fausses. Initialement, l’inscription d’un médicament sur une liste permet de définir le risque lié à cette substance. Or, je peux vous citer un grand nombre de principes actifs qui sont listés, mais qui pourraient être délistés du jour au lendemain sans accroître les risques. En fait, cette politique de listage a été complètement déviée. Au départ, elle était pour contrôler les nouveaux principes actifs, qui du fait de leur nouveauté étaient mal connus. Seulement, la plupart ont été oubliés. On ne les a jamais délistés malgré des données de pharmacovigilance suffisantes les concernant.
S : Selon vous, des nouveaux délistages pourraient être envisagés pour développer l’offre des médicaments disponibles en automédication ?
A. B. : Les délistages sont l’élément pivot qui fera modifier ce marché. Si on se met à délister des principes actifs qui ont à peu près 10 d’âge sur le marché, on pourra disposer de principes actifs d’efficacité reconnue avec un risque moindre. Rappelez- vous la levée de bouclier lors du délistage de la cimétidine il y a une vingtaine d’année. C’était un délistage extraordinaire et astucieux, parce qu’à dose exonérée, on n’observe pas les phénomènes d’induction enzymatique à la base des interactionsmédicamenteuses de la cimétidine. La question va donc se poser pour un tas d’autres principes actifs. Un autre exemple puisque je suis néphrologue. C’est un vrai scandale qu’on oblige les femmes qui ont une cystite à aller voir le médecin pour se faire délivrer une fluoroquinolone. Bien sûr, l’argument principal est le risque d’augmentation de la pression de sélection. J’accepte. Mais je peux vous citer des principes actifs pour lesquels cet argument n’est pas valable. C’est le cas de Monuril® (fosfomycine trométamol). Je ne comprends pas pourquoi cette spécialité n’est pas mise sur le marché en prescription médicale facultative. Résultat, il n’y a rien en automédication pour une cystite, à part le bleu de méthylène. Or le réseau pharmaceutique constitue une opportunité extraordinaire pour les traitements d’urgence de ce type. Actuellement, la possibilité de délistage des triptans, de l’orlistat et de la sildénafil est à l’étude au niveau européen.
S : Il est important de donner le bon médicament pour la bonne pathologie. Cela demande
de faire un diagnostic, qui est du ressort du médecin, pas du pharmacien ?
A. B. : C’est tout l’intérêt de l’éducation thérapeutique. Dans le cas de la cystite, j’essaie d’informer mes patientes sur la pathologie, je leur parle de diurèse, je les rassure quant à la gravité de la maladie.
Il m’arrive d’ailleurs de leur rédiger une ordonnance anticipée. Quand elles ont les premiers symptômes, je leur demande de faire une bandelette, avec recherche de nitrites et de leucocytes, et de ne se faire délivrer l’ordonnance que si la recherche est positive.
S : Dans ce contexte d’évolution, pensez-vous que la formation des pharmaciens doit être révisée ?
A. B. : C’est indispensable. J’ai entendu le doyen de Châtenay le dire lui-même. Il faut mettre l’accent sur la formation en pharmacie clinique. N’oublions pas qu’en 2015, certaines régions en France seront démédicalisées. On rencontre déjà ce problème avec les ophtalmologistes.« Les patients veulent une pharmacie de proximité »
Interview réalisé par Pierre Fremit pour Santé log Officine- Février 2009
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