Vous avez certainement tout comme moi, entendu parler de ce nouveau mouvement consistant à prôner le jeûne. Ceci « permettrait, selon certains, de se débarrasser des toxines accumulées au fil des repas et des journées. Plusieurs organismes proposent des formules de vacances, voire des temps forts spirituels, inspirés de cette idée des cures de «détoxification», dont certaines associent de longues marches et un jeûne assorti de la prise de tisanes ou jus de légumes. »(1)
Dernièrement un « pourfendeur » du médicalement correct a osé, malgré le risque de se ridiculiser, remettre en cause les connaissances scientifiques, les recommandations de l’AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments), ainsi que celle de l’Académie de Médecine. Le but étant bien entendu de profiter de la crédulité des gens ainsi que de leur désarroi pour leur soutirer de l’argent grâce à la vente de son livre. Pour cela il a organisé une marche, à jeun, de 500 km étalés sur 14 jours. « Tout a été prévu pour que cette » manifestation « soit l’occasion de « faire de la communication » sur le jeûne. En collaboration avec deux agences de "com", un site Internet fourni a été créé. Une équipe de télé, emmenée par Claude Vemick »(2) l’a accompagné, entouré par ses adeptes.
Différentes voies se sont élevées :
- « Arnaud Basdevant, professeur de nutrition a l’université Paris VI et chef du service de nutrition a l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière s’insurge (…) contre les pratiques excessives «Engager des personnes dans une marche de 500 km en quatorze jours sans manger est une faute si aucun bilan n’a été réalisé auparavant. C’est une "quête de performance" dangereuse » (…) « Le professeur Basdevant précise les dangers avérés d’une telle pratique «Les jeûnes courts de un a trois jours, ne sont pas problématiques en eux-mêmes Mais il faut mettre en garde contre les risques d’un jeûne prolongé associé à une activité physique importante. Cette marche de 500 km par exemple expose I’organisme a des changements métaboliques importants, en particulier des hypoglycémies et des troubles du potassium. Cela peut entraîner des accidents cliniques graves (malaises, troubles du rythme problèmes musculaires) chez des personnes présentant des problèmes médicaux sous jacents »(1)
- « Une altercation a déjà opposé » ce marginal « par voie de presse, au célèbre nutritionniste Jean-Michel Cohen, qui a dénonce son entreprise. Ce dernier se dit «formel» sur les «menaces» qui pèsent sur les participants à ce jeûne prolongé, notamment «les personnes à la santé fragile» A ceux-là, il conseille de faire «un bilan de santé, de boire abondamment et d’arrêter immédiatement au moindre problème» et demande » à cette anarchiste « de ne pas prendre ses recommandations à la légère »(2)
Nous avons reçu à Santé log un communiqué de presse, de la part de ce libertaire nous faisant part de sa prouesse… ce qui lui permettait surtout de faire la promotion de son livre. J’ai alors osé, afin d’étayer mon article, lui demander les preuves scientifiques des biens faits du jeûne prolongé et me suis même inquiété du risque pris par certaines personnes désespérées qui risqueraient de délaisser les soins classiques. J’ai même été jusqu’à lui demander si son exploit avait été soumis à un contrôle extérieur neutre, tel un huissier justice.
Mal m’en a pris de remettre en cause la pertinence et la validité de ses dires. Je n’ai pu obtenir de sa part que des arguments flous et fallacieux (chose à laquelle je m’attendais).
Tous les propos tenus, totalement ubuesques, pourraient être facilement tournés en dérision, mais malheureusement derrière ceux-ci se cachent une formidable machine de "com" : un rouleau compresseur qui risquent d’entraîner dans son rouage tant de personnes en souffrance qui mettront à mal leur santé voire leur vie.
C’est pourquoi, afin de revenir à un discours plus rationnel ; je tiens à faire quelques rappels physiologiques :
- En ce qui concerne le jeûne :
ü L’organisme ne possède qu’une réserve limitée à 18 heures de glucides. Dès que le jeûne se prolonge, le glucose provient nécessairement de synthèse. On peut schématiquement distinguer 2 phases de jeûne : le jeûne court et le jeûne long. Il s’agit bien sûr d’un jeûne ne portant que sur les apports énergétiques, sans interruption de la consommation d’eau, qui serait évidemment mortelle. De toute façon, même si celui-ci est accompagné d’une consommation hydrique, il ne peut dépasser 45 à 60 jours : au-delà survient la mort.
ü Lors d’un jeûne court, il y a production endogène de glucose par le foie grâce à la glycogénolyse puis par l’intermédiaire de la néoglucogenèse.
ü Lors d’un jeûne long, l’essentiel de la néoglucogenèse hépatique (60%) se fait à partir des acides aminés provenant de la protéolyse musculaire. Apparaît ensuite la lipolyse. Les acides gras ainsi libérés sont utilisés essentiellement par les muscles et le cœur, au dépend du glucose « réservé en priorité » au cerveau. De plus l’importante lipolyse entraîne un afflux massif d’acides gras dans le foie qui les convertis en corps cétoniques : c’est la cétogenèse. Ces corps cétoniques sont alors utilisés comme substrat énergétique. Cependant lors d’une prolongation du jeûne, l’accumulation des corps cétoniques conduit à une acidose, entraînant la mort par fibrillation cardiaque, lorsque le pH sanguin devient inférieur à 7.
Le jeûne, par les mécanismes physiologiques, qu’il impose n’a donc aucune vertu en ce qui concerne un quelconque processus de détoxification.
- Pour ce qui est justement de la détoxification, celle-ci à lieu au niveau hépatique. Elle permet la dégradation de molécules exogènes : médicaments, drogues, additifs alimentaires ; mais également endogènes comme par exemples : les hormones stéroïdiennes ou thyroïdiennes ou encore les catécholamines. Ces réactions de biotransformation sont constituées essentiellement par des oxydations, estérifications ou glucuronoconjugaisons.
Là non plus, le jeûne, ne favorise en aucun cas l’une de ces transformations.
- Il nous est également dit que le jeûne permettrait de « lutter contre les toxines ». S’agit-il des radicaux libres ? Si oui, un autre rappel physiologique s’impose : Le radical libre est une molécule qui possède un électron non apparié. L’organisme en produit de façon continue pour se défendre. Par exemple, il détruit de cette façon les bactéries en fabriquant de l’eau oxygénée (H2O2). 95% de l’oxygène est utilisé pour la respiration, le reste l’étant pour fabriquer des radicaux libres tel que l’oxygène singulet. Cette quantité est limitée grâce aux antioxydants. Il en existe différents types dont les 3 principaux systèmes enzymatiques produits par notre corps sont : la SOD (SuperOxyde Dismutase), la catalase, la GPX (glutathion peroxydase) nécessitant des cofacteurs : Cu, Mn, Mg, Zn et Se. Mais également certaines vitamines E (?-tocophérol), C (acide L-ascorbique), ?-carotène.
Là encore, nous nous rendons compte que le jeûne ne permet pas de lutter contre les radicaux libres et prive même le corps de vitamines et oligo-éléments indispensables à leur destruction.
Face à ces différentes données scientifiques, il est de notre devoir en tant que professionnel de santé de fortement déconseiller ces jeûnes, purement mercantiles, mettant en risque la santé d’autrui.
(1) « Cinquante jeûneurs marchent sur Paris » in La Croix, le 29 juillet 2008
(2) « La marche à jeun inquiète un nutritionniste » in Sud-Ouest, le 14 juillet 2008
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Mes remerciements les plus chaleureux à Jean-Marie Manus (Conseiller en santé publique, Santé log) pour ses précieux conseils et ses remarques très constructives, tout au long de l’élaboration de ce post.
BLOGGER : Pierre Pérochon, diététicien