« C’est un lieu très rare, où le regard et la voix de chacun réinterrogent sans cesse notre commune humanité. Où resurgit en permanence, pour prendre place parmi nous, la présence silencieuse de l’autre, de tous les autres, si souvent invisibles en d’autres lieux. Où, pour reprendre les mots de John Donne, «aucun être humain n’est une île, entier à lui seul ; tout être humain est une partie du continent… »
JEAN CLAUDE AMEISEN, MEMBRE DU CCNE
Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, CCNE, ou simplement, Comité d’éthique, a été créé par décret de la Présidence de la République le 23 février 1983. La France a été le premier pays à créer un comité d’éthique national avec mission de susciter une réflexion de la société sur les avancées de la connaissance dans les domaines du vivant.
Comme son nom l’indique, ce comité de Sages est un organe auquel on demande un avis éclairé sur des sujets touchant à la vie et à la santé qui implique notre société. Consultatif mais non décisionnaire, il peut être saisi d’un sujet comportant des aspects d’éthique et posant a priori un problème de société, du fait du risque de collision des avancées de la biologie, de la médecine et de la science fondamentale et appliquée avec les aspects moraux de ces avancées. Exemples : recherches sur l’embryon, euthanasie, handicaps congénitaux, techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP), projets de greffe d’organes d’animaux à l’Homme, tests de dépistage rapide du VIH, etc.
La saisine du CCNE peut être le fait du Président de la République, de la Chambre des députés, du Sénat, d’un membre du gouvernement, d’un établissement d’enseignement supérieur, d’une fondation reconnue d’utilité publique. La question posée au CCNE fait l’objet d’un rapport comportant avis et recommandations. Sa diffusion aux médias correspond au souhait du CCNE d’impliquer le citoyen dans la compréhension des en jeux de l’éthique des sciences de la vie.
Le CCNE est pluridisciplinaire, constitué d’un éventail de compétences de la recherche, de la médecine, de la biologie, du Droit, des divers courants philosophiques et religieux, lui donnant une vue panoramique et critique des questions, adoptant une position commune qu’exprime le rapport.
Outre le Président et le Président d’honneur, le CCNE compte 5 représentants des principales familles philosophiques et spirituelles, 15 personnalités désignées par les différents ministres concernés par les questions traitées, un représentant des députés et un des sénateurs, un représentant de la Cour de cassation et un du Conseil d’Etat, 15 représentants de la recherche : Académie des sciences, Académie de médecine, Collège de France, Institut Pasteur, INSERM, CNRS, CHU.
Depuis sa création, le CCNE a publié 104 rapports, le dernier en date sur le dossier médical personnalisé (DMP) et l’informatisation des données de santé, sur saisine de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, en mars dernier. La publication des rapports est rarement médiatisée.
Une exception : quand le CCNE parlait de l’euthanasie…
Le rapport n° 63 du 27 janvier 2000 a connu une médiatisation sans précédent en direct du siège du CCNE (presse écrite, radios, télévision). Les Sages y développaient une série de réflexions sur la fin de vie, les sois palliatifs, le droit de mourir dans la dignité en choisissant sa mort et l’euthanasie.
Dans ses conclusions, déjà, le CCNE écartait l’éventualité d’une dépénalisation, les textes d’incrimination du Code Pénal ne devant pas subir de modification. Les juridictions, chargées de les appliquer, devraient recevoir les moyens de formuler leurs décisions sans avoir à user de subterfuges juridiques faute de trouver dans les textes les instruments techniques nécessaires pour asseoir leurs jugements ou leurs arrêts.
Ainsi, pour le CCNE, l’acte d’euthanasie devrait continuer à être soumis à l’autorité judiciaire. Mais un examen particulier devrait lui être réservé s’il était présenté comme tel par son auteur, une sorte d’exception d’euthanasie (traduction juridique par l’instauration d’une exception d’euthanasie), qui pourrait être prévue par la loi, permettrait d’apprécier tant les circonstances exceptionnelles pouvant conduire à des arrêts de vie que les conditions de leur réalisation. Elle devrait faire l’objet d’un examen en début d’instruction ou de débats par une commission interdisciplinaire chargée d’apprécier le bien fondé des prétentions des intéressés au regard non pas de la culpabilité en fait et en droit, mais des mobiles qui les ont animés: souci d’abréger des souffrances, respect d’une demande formulée par le patient, compassion face à l’inéluctable, le juge restant maître de la décision.
D’autres solutions peuvent être envisagées mais tendraient au même résultat, à savoir que les Cours et Tribunaux disposent du moyen légal d’échapper au dilemme que leur pose actuellement dans ces situations le décalage entre le Droit et la réalité humaine. En tout état de cause, devraient être prises en compte les exigences éthiques suivantes :
il ne pourrait s’agir que de situations limites ou de cas extrêmes reconnus comme tels,
l’autonomie du patient devrait être formellement respectée et manifestée par une demande authentique (libre, répétée, exprimée oralement en situation ou, antérieurement, dans un document).
Face à la difficile et douloureuse question de la fin de vie et de l’arrêt de vie, le CCNE affirme que la question de l’euthanasie proprement dite ne peut être isolée du contexte plus large que représente le fait de mourir aujourd’hui dans un monde fortement marqué par la technique médicale, ses qualités évidentes, mais aussi ses limites. Le véritable défi devant lequel la société se trouve placée revient à permettre à chacun de vivre au mieux (ou au moins mal) sa mort et, dans la mesure du possible, de ne pas en être dépossédé. La mise en œuvre résolue d’une politique de soins palliatifs, d’accompagnement des personnes en fin de vie et de refus de l’acharnement thérapeutique doit y conduire. Cette même détermination doit de plus permettre de réduire à des situations rares et exceptionnelles les demandes d’euthanasie proprement dite, sans toutefois réussir à éviter qu’elles ne
se posent plus jamais.
L’intégralité de ce rapport est disponible sur le site du CCNE , de même que l’intégrale des rapports publiés depuis 25 ans. Il s’agit d’une somme scientifique, philosophique et sociale absolument remarquable qui montre bien que la réflexion éthique se doit de freiner de temps à autre le progrès pour laisser aux Hommes sages le temps de la réflexion éthique.
Blogger : Jean-Marie Manus
Accéder à l’intégralité du rapport "Avis sur Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie"