Joël Ménard est professeur de Santé Publique, ancien directeur général de la santé, président de la Commission d’élaboration du Plan Alzheimer
Sur le plan Alzheimer
Le 1er août 2007 le Président de la République Nicolas Sarkozy adressait une « lettre de mission » au Pr Joël Ménard pour le charger de piloter la Commission nationale chargée de l’élaboration de propositions pour un plan national concernant la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées. Cette commission d’experts, pour lequel le Joël Ménard a fait appel aux spécialistes les plus éminents de ce problème de santé publique, a remis au Président de la République le 8 novembre 2007 ses propositions de recommandations pour un Plan Alzheimer.
Travail remarquable dans lequel le Pr Ménard s’est personnellement impliqué, rencontrant personnellement soignants, chercheurs, travailleurs sociaux, aidants, dans différentes structures de prise en charge. L’Alzheimer, c’est aussi du social S’entretenir avec Joël Ménard d’un sujet de santé, on entre dans les deux dimensions de la médecine : la dimension médicale, scientifique, la pathologie, les traitements, et toujours aussi la dimension sociale. Dans les années 1960, nous rappelait-il, c’est à son initiative que les patients de son Service d’hypertension artérielle et de médecine interne de l’Hôpital Saint-Joseph (75014 Paris) ont reçu les premières notices et brochures d’information et d’explication sur leur maladie – au sens le plus large de l’information.
Car, souligne-t-il, à l’époque l’hypertension était une maladie grave, lourde de conséquences. Aujourd’hui c’est une maladie chronique, avec des traitements efficaces, bien tolérés, des patients qui vivent bien… Approche sociale, médico-sociale aussi pour la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées. C’est ainsi que Joël Ménard a abordé la mission confiée par M. Sarkozy, moi, lui disait-il dans sa lettre de présentation du Plan Alzheimer, qui ne suis pas un spécialiste de la maladie d’Alzheimer. Et, ajoutait-il, je me suis entouré de bénévoles que je savais être compétents dans leurs domaines. D’où ce rapport « autour de connaissances scientifiques, techniques et sociales solides ». A propos de l’urgence à mieux combattre « cette maladie chronique invalidante, fréquente et très particulière pour les familles puisqu’elle touche à la perte du soi et de l’autonomie », Joël Ménard évoque ce qui pourrait ressembler à première vue pour certains à une révolution dans l’organisation des soins pour diverses pathologies posant un problème de santé publique, la maladie d’Alzheimer et son Plan apparaissant comme le facteur de déblocage d’une médecine en mal de réorganisation dans ce contexte.
Des médecins là où l’on a besoin d’eux
Ce serait un mode de prise en charge des malades par des soignants organisés pour et autour des malades, là ou géographiquement et médicalement on a besoin d’eux. Mais pour cela, il faudrait prévenir à temps les futurs médecins, dès l’époque des études de médecine, avant les ECN (épreuves classantes nationales). Comme dit Joël Ménard : il vaut mieux le savoir avant de commencer sa médecine plutôt qu’à sa fin…
Or ces jeunes ou futurs médecins ont une prise de conscience insuffisante de ce qui les attend, de ce qu’on pourrait réclamer d’eux en contrepartie de la possibilité de se former pendant dix ans grâce à des études payées par l’Etat. Alors il semblerait justifié de leur demander, à l’issue de ces années de formation, de s’impliquer dans le service public de santé, de donner quelques années au service de la santé publique, comme on le réclame des infirmières après leur diplôme.
Mais face au malaise exprimé récemment par les internes quant à leur future installation, il faut aussi, dit Joël Ménard, modifier la façon d’exercer la médecine. L’exercice en solitaire, dans des endroits isolés n’est plus possible.
La France
doit s’équiper en maisons médicales, où les médecins exercent en groupe, avec le concours de professionnels paramédicaux. Ils doivent devenir des « entrepreneurs de santé », en équipe avec infirmières, kinésithérapeutes, psychologues, ergothérapeutes, psychomotriciens, etc.
Dix patients et un « forfait-Alzheimer »
Ces équipes insérées dans une population vieillissante devront accompagner les patients âgés, ce seront des « gestionnaires de cas », présents ou affectés ou acceptant d’aller là où l’on a besoin d’elles. Concernant plus particulièrement la maladie d’Alzheimer, maladie des populations âgées et très âgées, on peut imaginer, suggère Joël Ménard, compte tenu du nombre croissant de cas (800 000 estimés actuellement), que chaque médecin traitant suive personnellement dix patients, sur la base d’un forfait et non plus sur celle de la tarification à l’acte.
Cette vision (non utopique) de médecine sociale, c’est-à-dire plus proche des sociétés que sont les bourgs, les villages, les hameaux, qui favoriserait le maintien à domicile des patients (c’est dans le Plan), suppose de la part des jeunes médecins un choix d’installation plus courageux, plus dispersé qu’aujourd’hui. Est-il normal que les jeunes diplômés refusent de s’installer aussi là où l’on a besoin d’eux ?
C’est pourquoi, soutient Joël Ménard, qui fut aussi Directeur général de
la Santé
, les conditions de leur installation doivent changer, le médecin traitant devenant un acteur essentiel du parcours de soin, en favorisant l’accès à la filière hospitalière dans les cas où l’hospitalisation devient nécessaire. Comme l’écrit Joël Ménard : on apprend beaucoup de la mobilité, il faut donc trouver les ressorts qui la favorisent. On y revient : aller là où l’on a besoin d’eux…
La maladie d’Alzheimer place les sociétés vieillissantes face à un défi : une pathologie qui est en quelque sorte la « rançon » de cette vieillesse toujours plus longue, de cette espérance de vie prolongée (jusqu’où ?) qui sont paradoxalement les bénéfices des progrès de la santé publique. C’est pourquoi la maladie d’Alzheimer peut être l’occasion de revoir la façon de faire de la médecine en France !
Par rapport aux maladies cardiovasculaires et aux cancers, pour lesquels on peut proposer des mesures de prévention, celle de la maladie d’Alzheimer n’existe pas, on peut seulement veiller au bien-être physique et nutritionnel de ces malades. La protection contre les répercussions cérébrales de l’hypertension, les lésions de l’accident vasculaire cérébral peut retarder l’échéance. On sait bien qu’elle va apparaître avec l’avance vers le grand âge, il faut s’y préparer, la famille doit s’y préparer, le médecin doit prévoir de les accompagner, dans des circonstances difficiles, il lui faut avoir un mode de pensée différent vis-à-vis de cette maladie.
Et les aidants, la famille, l’entourage ? Le plus dur à vivre pour eux, ce sont les troubles du comportement du malade, ils en souffrent, il y a parmi eux une forte morbidité… C’est pourquoi l’amélioration de la prise en charge passe aussi par le développement de soins et d’aide à domicile, voire par l’aménagement et l’adaptation des logements. Toutes les mesures d’aide à l’autonomie suggérées dans le Plan doivent répondre à la forte demande médico-sociale, et les réponses à cette demande passent quant à elles par une approche personnalisée.
Un euro par Français
Sur un plan plus scientifique, dit Joël Ménard, il y a tout un monde de recherche à stimuler : recherche de marqueurs biologiques de diagnostic, de techniques d’imagerie, mais quand parviendra-t-on à poser un diagnostic précoce : l’échéance est imprévisible… Il faut motiver les gens qui travaillent en recherche, mais il faut aussi les motiver. La recherche a besoin d’au moins 60 millions d’euros, sinon elle n’avancera pas. La recherche française produit mais elle a été mal dirigée, dit aussi Joël Ménard, qui évoque sa dispersion, voire son « oubli » de la maladie d’Alzheimer. Il faut des choix scientifiques plus clairs « qui s’intègrent dans les besoins du monde ».
Son financement : envisager « un euro par Français, c’est, me semble-t-il, raisonnable », à condition d’une recherche ciblée… Sinon on n’avancera pas !
Sur le plan social, il faut améliorer, amplifier les moyens d’encadrement et le nombre de professionnels de toutes disciplines prenant en charge la dépendance et ses complications. La dépendance est devenue l’un des trois grands risques sociaux avec le la maladie et le chômage.
France et Alzheimer : peut mieux faire
Alors, quel état des lieux de la prise en charge de la maladie d’Alzheimer en France ? Elle n’est pas mauvaise, par rapport à d’autres secteurs de la santé publique où elle reste insuffisante. Mais elle peut et doit mieux faire, et le rapport présenté au Président de
la République
par Joël Ménard est plein d’indicateurs vers des pistes à explorer/exploiter, comme engager des expérimentations dans les départements permettant de coordonner le travail de plusieurs acteurs et « pour préparer ce que la loi fera demain ». Car sur la base de ce Plan, des décisions de santé publique d’importance nationale devraient être prises.
L’urgence est telle, selon Joël Ménard, qu’il faut classer la maladie d’Alzheimer dans les maladies rares (celles qui attendent leurs médicaments orphelins). Il faut également créer un Centre de référence Alzheimer comme il en existe déjà de nombreux pour d’autres maladies rares. Il faut aussi des centres de soins partout en France, tels des hôpitaux de jour.
En revanche, s’il faut des centres de recherche en France, il faut leur éviter la dispersion géographique : il en faut peu, mais très spécialisés – ils existent, il faut leur donner les moyens. Il nous faut aussi former plus de neurologues.
Il faut enfin libérer l’information : comme le dit Joël Ménard à M. Sarkozy « que moins d’informations soient enfouies, que des synthèses courtes et intelligentes soient rendues publiques périodiquement… ».
Il y aurait enfin intérêt de chercher à bénéficier de l’expérience acquise par ceux qui assurent le suivi des malades, professionnels du paramédical mais aussi… aidants familiaux.
Pour conclure, nous ne pouvons que citer la phrase finale de la lettre de Joël Ménard à Nicolas Sarkozy accompagnant la remise du Plan : « Plus il sera fait à partir du contenu de ce rapport, plus mes collègues et moi serons heureux, dans les années à venir, non pas avec la suffisance facile des intellectuels, mais avec l’espoir d’être utiles à toutes les familles qui souffrent et que chacun d’entre nous pourra un jour rejoindre »…
Auteur : Jean-Marie Manus
D’après un entretien avec le Pr Joël Ménard
Publié le 29 mai 2008
Santé log Officine N°3 à paraître le 10 juin consacre son dossier à la maladie d’Alzheimer