Jean-Tristan Richard est psychologue-psychanalyste et directeur adjoint du CAMSP de l’IPP- Paris et l’auteur de divers ouvrages. Le dernier publié s’intitule « Psychanalyse et handicap », paru en 2006 aux éditions L’Harmatan. Il a accepté de répondre aux questions de Santé log Officine et nous livre sa réflexion quant à la composante psychologique du médicament générique sur le patient, mais aussi sur le pharmacien et le médecin.
Santé log : Malgré la confiance accordée au pharmacien, un certain nombre de patients n’accepte pas la substitution, en particulier avec des classes pharmacologiques comme les somnifères. Comment expliqueriez-vous cela ?
JTR : Les patients accordent leur confiance à leur pharmacien. Mais cette confiance peut être aussi intéressée : ils attendent souvent de lui qu’il leur délivre certains médicaments ou renouvelle leur traitement sans ordonnance. Le remplacement de leurs médicaments par des génériques change leurs habitudes et ils craignent un moindre effet. Les somnifères, qui constituent avec les anti-dépresseurs, la prescription la plus fréquente, n’échappent pas à cette règle. Nombre de patients disent ainsi retrouver leurs anciens symptômes avec le générique.
Santé log : Si c’est le médecin qui prescrit directement en DCI, le générique semble pourtant mieux accepté ?
JTR : Les patients ont davantage confiance en leurs médecins, supposés plus formés et plus désintéressés, qu’en leurs pharmaciens, soupçonnés d’intérêts marchands. Par ailleurs, il me semble devoir souligner que tout médecin a d’abord peur de son patient. De façon primaire, celui-ci pouvant l’envahir par ses maux et son attente, et, de façon secondaire, parce qu’il ne sait pas trop le résultat qu’atteindront ses prescriptions. Il peut même douter de la validité de certaines ou, au contraire, être? obsessionnellement attaché à d’autres. Malgré cela, le médecin demeure lui-même le premier médicament, comme le disait M. Balint (1). Tout ceci s’applique évidemment aussi au pharmacien.
Santé log : Le motif de la non-efficacité ou moindre efficacité est souvent avancé. Ces commentaires laissent le pharmacien (qui est un scientifique) sans voix. Pourtant, et mise à part le problème des excipients notoires, les génériques sont des copies pharmacologiquement conformes au princeps ?
JTR : Avec la question de la différence entre l’efficacité des non-génériques et celle des génériques, on retrouve la classique dimension psychologique? de toute médication. L’irrationnel que l’on avait cru jeter aux orties pour cause de non scientificité refait irruption ! Il faut en effet accepter de reconnaître que pour l’Inconscient, la relation soignant/soigné réplique la dépendance psychologique entre l’enfant et sa mère. Les peurs archaïques, la toute puissance magique de la pensée, les dimensions orales, anales et phalliques de toute relation à l’Autre s’y avèrent prévalentes. On voit là les dimensions habituelles de toute médication : comprimés, suppositoires, régimes, arrêts-maladie, etc. Il n’est pas sûr que le médecin et le pharmacien possèdent la formation et le « feeling » suffisants pour les comprendre et en tenir compte. De plus, dans chaque malade, il y a une personne qui souhaite guérir et une autre qui ne le veut pas. C’est sans doute pourquoi le patient estime que le non-générique lui convient et le générique pas.
Santé log : Dix ans après l’arrivée des premiers générique, celui-ci semble donc traîner sa réputation de sous-produit. Quels conseils pourraient être donnés au pharmacien pour rassurer ses patients ?
JTR : La prise en charge par la Sécurité sociale illustre le droit à la santé. Or, celle-ci n’existe pas ; elle n’est qu’un idéal. En outre, dans une société croyant au bien être universel, dans un contexte de compétition et de rentabilité, mais aussi marqué par le développement du souci écologique, on conçoit facilement que l’idéologie d’une santé gratuite se développe. Mais là encore, on constate que l’Inconscient se manifeste ! Lui sait bien qu’on ne devient pas malade uniquement pour des causes objectives et externes. Lui a compris que c’est lorsqu’on est dans une position de fragilité psychologique que la maladie s’installe. Les résistances de chaque patient à admettre cela lui font percevoir que les traitements génériques seraient des médications « allégées », voire des placebos. Ce qui est en cause ici, ce sont les possibilités du médecin à s’identifier aux besoins propres de son patient et à métaboliser son propre rapport au sein donateur. Le pharmacien prenant ensuite le relais quant à ces possibilités. Plutôt que de recevoir des conseils, voire des recettes, pour rassurer ses patients, le pharmacien me semble avoir besoin d’un lieu d’écoute où il pourrait exprimer ses questionnements. Dans une sorte de groupe « Balint » pour pharmaciens…
Santé log : Le générique a été mis en place pour maîtriser les dépenses de la Sécurité sociale, mais cela paraît abstrait pour le patient, non ?
JTR : Depuis une trentaine d’années, on culpabilise toute personne malade? avec le fait qu’elle entretient le déficit de la Sécurité sociale. On oublie la? mauvaise gestion des dépenses de santé par les différents gouvernements et le développement d’aberrations aussi scandaleuses les unes que les autres? : 100% étendu, frais de transports élargis, médicaments faisant double ?emploi, etc. Par ailleurs, les médecins contrôleurs de la Sécurité sociale s’avèrent souvent incapables de tenir compte des aspects psychologiques de toute maladie.
Santé log : Certains départements ont mis en place le « tiers-payant contre générique ». Cette mesure semble réussir puisque les taux de pénétration ont fortement évolué. La crainte d’avoir à dépenser serait donc plus forte que celle d’être mal soigné ?
JTR : On ne saurait accepter la maladie et sa disparition sans un prix à? payer. Cela non pas tant au plan réel qu’au plan symbolique. Ceci rend compte du succès du tiers payant contre le générique remboursé. A cela ?s’ajoute bien sûr le contexte économique général qui explique effectivement que pour bien des personnes, la crainte d’avoir à dépenser pour sa santé surpasse celle d’être malade ou de continuer à être malade.
Interview réalisé par Pierre Frémit, pharmacien pour Santé log Officine N°4 parution septembre 2008
(1) pour en savoir plus sur la Société Médicale Balint